La statistique dans la cité n° 9 - avril 2018
Lettre bimestrielle du groupe « Statistique et enjeux publics »
Sommaire du n° 9


Éditorial :                                - 25 mai 2018, un jour pas comme les autres…

Droit et statistique :              - Statistiques ethniques : interdites, vraiment ?

Vie des institutions :             - La statistique propose, le politique dispose
                                                - L’Insee déménage
                                                - La reprise du « Courrier des statistiques »

Méthodes :                             - Les retraités : quel niveau de vie ?

Lu pour vous :                        - Déficit et dette en temps de crise
                                                - Histoire(s) de(s) données numériques

Agenda :                                 - Prochaines séances des Cafés de la statistique

Vous appréciez« La statistique dans la cité » !

Merci aux nombreux lecteurs qui ont répondu à notre questionnaire qui sollicitait leur avis sur la lettre « La statistique dans la cité ».
Vous nous dites que vous lisez cette lettre régulièrement, souvent presque complètement. Ce sont la rubrique « Droit et statistique » et l’éditorial qui ont plus particulièrement retenu votre attention.
Un répondant sur cinq se dit désireux de participer à sa rédaction, soit en proposant des informations, soit en réagissant à nos publications : bienvenue à eux.
Pour cela, il suffit de nous contacter à l’adresse : sep@sfds.asso.fr

Et pour vous qui ne nous avez pas encore répondu, vous pouvez encore le faire là :https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSfZyeLd7FjfG1OhoI0f0ICJiDd6gPJfnExixzVU0CK5TxWgqQ/viewform
Les critiques sont bien sûr acceptées, et nous essaierons d’en tenir compte.


Editorial

25 mai 2018, un jour pas comme les autres…
Ce jour marquera un changement majeur pour les citoyens européens d’une part et pour les métiers autour des données d’autre part. En effet, le Règlement général sur la protection des données (RGPD), adopté par le Parlement européen le 14 avril 2016, est applicable à partir du 25 mai 2018. Le RGPD pose les nouvelles règles de collecte et de traitement des données à caractère personnel et responsabilise les organisations – entreprises ou institutions publiques – recueillant ou exploitant ces données ; en contrepartie il sanctionne plus durement les contrevenants.

Ces nouvelles règles portent sur :
  • de nouveaux droits accordés aux citoyens, comme le droit à l’oubli, c’est-à-dire la possibilité de demander que toutes les données identifiantes détenues soient définitivement effacées ;
  • un devoir d’information complète de celui ou celle dont on collecte les données afin de recueillir son consentement explicite et éclairé (13 mentions obligatoires) ;
  • un mécanisme natif de protection (Privacy By Design) des informations et de la vie privée des individus à mettre en œuvre dès la conception d’un nouveau traitement ;
  • le principe d’« accountability » c’est-à-dire l’obligation faite à tout responsable d’un traitement de pouvoir démontrer, à tout moment, la conformité dudit traitement au RGPD ; finies les déclarations à l’autorité de contrôle (en France, la Cnil) ;
  • des amendes lourdes (de dix à vingt millions d’euros ou de 2 à 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise) en contrepartie d’une responsabilisation accrue des acteurs.

Le RGPD est-il pour autant une limite à la collecte des informations, un frein aussi chronophage que bureaucratique, sinon inutile ? La réponse est clairement non, et l’actualité Facebook et Cambridge Analytica le montre. Sa philosophie est, d’une part, de faire prendre conscience aux acteurs de la sensibilité des informations avec lesquelles ils travaillent et, d’autre part, de redonner de la confiance. Confiance entre celui qui donne ses informations et celui qui les collecte, confiance aussi dans la crédibilité des informations recueillies. Ce cadre plus strict posé par le législateur européen est aussi une opportunité pour améliorer la qualité des données recueillies et donc permettre aux professionnels des « data » de travailler avec une matière première plus fiable. Enfin, en harmonisant les règles au niveau européen, il crée un espace homogène et même plus large que l’Union puisque, en principe, il pourra s’appliquer à tout organisme traitant de données européennes, quel que soit son pays d’implantation. Ainsi, il est porteur de perspectives intéressantes en termes de recherches statistiques.


Pour nous écrire : sep@sfds.asso.fr

Droit et statistique

Statistiques ethniques : interdites, vraiment ?
Les médias affirment souvent que « les statistiques ethniques sont interdites en France ». Est-ce vrai ?
La réponse doit être nuancée.

D’un côté, il est vrai que le Conseil constitutionnel a jugé en novembre 2007 que « les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure des diversités des origines … ne sauraient … reposer sur l’origine ethnique ou la race ». La loi Informatique et libertés, de même que le règlement européen sur la protection des données (RGPD) qui sera applicable à partir du 25 mai prochain, vont dans le même sens : l’article 9 du RGPD dispose qu’est interdit « le traitement des données à caractère personnel qui révèle l’origine raciale ou ethnique … » (de même que le traitement d’autres catégories de données considérées comme sensibles : opinions politiques, données de santé, …).

Mais en sens contraire, il faut savoir que ces interdictions générales sont assorties de précisions ou d’exceptions qui permettent de nombreux travaux d’étude touchant aux origines des personnes qui constituent la population française.

Ainsi le commentaire publié en 2008 par le Conseil constitutionnel sur sa décision de 2007 souligne que le Conseil n’a pas écarté l’utilisation de données objectives fondées sur le nom, l’origine géographique ou la nationalité antérieure, ni de données subjectives comme le « ressenti d’appartenance » ; mais que : « en revanche, serait contraire à la Constitution la définition, a priori, d’un référentiel ethno-racial(1) » (du type de celui qui est utilisé dans le recensement aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada).

Ainsi, l’article 9 du RGPD, juste après avoir formulé l’interdiction générale qui vient d’être rappelée, énumère des exceptions, parmi lesquelles figure le cas où « le traitement est nécessaire à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques ». Et la loi Informatique et libertés faisait de même dans son article 8.

C’est grâce à ces exceptions que de nombreuses enquêtes de la statistique publique peuvent apporter des informations sur les populations immigrées, ou issues de l’immigration, selon les pays d’origine.

Au total, la France n’est pas dépourvue d’informations statistiques sur les populations selon leurs origines, et n’est pas
empêchée par sa législation d’en collecter de nouvelles, à condition évidemment que les limites prévues par la loi soient respectées.

Pour en savoir plus :
« Inégalités et discriminations - Pour un usage critique et responsable de l'outil statistique : rapport du Comité pour la mesure et l'évaluation de la diversité et des discriminations (COMEDD) » – Février 2010

(1) Les recensements quinquennaux en Nouvelle-Calédonie échappent toutefois à cette règle. « La Statistique dans la cité » reviendra sur cette particularité dans un prochain numéro


Vie des institutions

La statistique propose, le politique dispose (suite … et sans doute pas fin !)
L’éditorial de notre précédente lettre concluait : Il doit être clair que, même si la décision est prise uniquement sur la base de formules statistiques, ce n’est pas le statisticien qui aura pris la décision de politique économique, mais le politique. La question du journaliste du Monde est donc en fait mal posée : les statisticiens n’ont aucune responsabilité dans la prise de décisions politiques, même lorsque ces décisions découlent de leurs travaux ; dans le cas d’espèce, ce ne sont pas les statisticiens, ni au niveau national, ni au niveau européen, qui ont fixé à 3 % le seuil au-delà duquel il convient de mettre en œuvre la procédure de déficit excessif.

A son tour, Libération vient de tomber dans le piège en publiant dans son édition du 9 mars dernier un article intitulé « Macron sauvé par Eurostat ».

Eurostat venait en effet de valider l'étalement sur deux ans du remboursement de la créance liée à la décision du Conseil constitutionnel d'invalider la taxe de 3 % sur les dividendes. Mais ce n'est pas Eurostat qui aura "sauvé Macron' mais la procédure de déficit excessif qui s'appuie elle-même sur les chiffres publiés par Eurostat. Certes Eurostat aura pris une "décision" mais il s'agit seulement d'une "décision statistique" de nature différente des décisions politico-économiques. De plus ce titre laisse insidieusement penser à une certaine complicité d'Eurostat. Notons en outre que c’est plutôt l’amélioration de la conjoncture (déficit 2017 estimé le 27 mars à 2,6 % par l’Insee) qui aura "sauvé Macron".

L’Insee déménage
Depuis 1974, la direction générale de l’Insee était installée en bordure de périphérique, 18 boulevard Adolphe Pinard, à cheval sur les communes de Paris et de Malakoff.
Depuis le 3 avril 2018, tous les services de la direction générale sont implantés sur un nouveau site à Montrouge.
Leur nouvelle adresse est :
88 avenue Verdier
CS 70058
92541 Montrouge Cedex

La reprise du « Courrier des statistiques »
Le « Courrier des statistiques » a été lancé en 1977 et a publié son dernier numéro en septembre 2011 (n° 131). Nous avions été nombreux, alors, à regretter cette décision, prise sur le fondement de considérations essentiellement comptables.

Après avoir constaté qu’une telle revue répondait encore aujourd’hui à un besoin réel, l’Insee a pris la décision de relancer le « Courrier des statistiques » et d’en faire une revue numérique, disponible gratuitement sur son site internet. La revue paraîtra dans un premier temps à un rythme semestriel. Elle comportera une demi-douzaine d’articles susceptibles de couvrir des thèmes tels que : concepts, processus et outils du SSP, droit et statistique, environnement international. Des auteurs extérieurs au SSP pourront être sollicités à l’occasion, notamment pour présenter l’organisation de la statistique dans un institut étranger. Le premier numéro paraîtra à l’automne 2018

« La Statistique dans la cité » souhaite la bienvenue à son nouveau confrère !


Méthodes

Les retraités : quel niveau de vie ?
Les conséquences de la hausse de la CSG sur le montant des retraites et le niveau de vie des retraités font l’objet de nombreux débats et commentaires, Quelques chiffres fournis chaque année par le service statistique public permettent d’éclairer le sujet.

Le recueil Les retraités et les retraites publié par la Drees rassemble les résultats des enquêtes statistiques annuelles réalisées par celle-ci auprès des organismes des régimes de retraite obligatoire ou facultative : d’après le rapport établi en 2017, 16 millions de personnes sont retraitées de droit direct des régimes français. Le montant moyen mensuel de la pension de droit direct (y compris l’éventuelle majoration pour enfants) s’élève à 1 376 euros fin 2016. Ce montant progresse de 0,7 % en euros constants en un an, en raison d’un effet de noria : les nouveaux retraités perçoivent des montants de pension supérieurs à ceux des retraités décédés en cours d’année.

Pour apprécier le niveau de vie des retraités, il faut tenir compte de leurs autres revenus (revenus du patrimoine, etc.), des transferts autres que les retraites, et de la fiscalité, et, également de la structure de leurs ménages.

L'Enquête sur les revenus fiscaux et sociaux (appariement de l'enquête Emploi et des fichiers fiscaux de la Direction générale des finances publiques), menée par l’Insee, permet de déterminer le niveau de vie des ménages et des individus (revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation).

Le niveau de vie médian des retraités s’établissait à 1 757 euros par mois en 2015 contre 1 816 euros par mois pour les actifs de 18 ans ou plus. Au-delà de ce niveau médian, qui scinde la population en deux parties égales, il est pertinent de s’intéresser à la disparité des niveaux de vie des retraités(2).

Les données publiées par le Conseil d’Orientation des retraites permettent d’apprécier la dispersion des revenus des retraités : alors que le niveau de vie médian s’établit à 1 740 euros mensuels en 2014, un retraité sur dix dispose d’un niveau de vie inférieur à 1 080 euros par mois (soit un peu plus que le seuil de pauvreté). À l’opposé, un retraité sur dix dispose d’un niveau de vie de plus 3 230 euros par mois.

Le rapport entre ces deux seuils de niveau de vie est de 3,0 : les inégalités de niveau de vie seraient donc un peu moins fortes parmi les retraités que parmi les actifs ou parmi l’ensemble de la population.

(2) Le niveau de vie des retraités rapporté à celui de l’ensemble de la population correspond à l’un des indicateurs définis par le décret n° 2014-654 du 20 juin 2014 relatif au comité de suivi des retraites.


Lu pour vous

Déficit et dette en temps de crise
Chacun sait que le traité de Maastricht a instauré des règles pour contraindre les finances publiques des États-membres, la plus connue étant la limite de 3 % du PIB imposée au déficit des administrations publiques. Pour appliquer ces règles, il faut établir une information fiable, et ce rôle a été confié aux statisticiens publics.

Le livre « Déficit et dette en temps de crise » explique en quoi ce rôle consiste, et raconte les nombreuses difficultés que les statisticiens ont rencontrées pour le tenir, notamment lors de périodes cruciales comme la création de l'euro ou la crise des dettes souveraines. Sur ce sujet austère, l'auteur réussit le tour de force d'être à la fois rigoureux et attrayant. Rigoureux, il l'est sans aucun doute : toutes les questions techniques - périmètre des administrations publiques, moment d'enregistrement des flux, etc. - sont documentées en puisant dans les textes officiels. Attrayant, il sait l'être, en parlant simplement et directement de sa propre expérience professionnelle de statisticien, au cœur des débats qui ont émaillé l'histoire européenne des vingt dernières années. Dans les encadrés intitulés "Expérience vécue", le lecteur est aux premières loges pour observer les coulisses de l'Europe !

Ce livre est indispensable pour comprendre en profondeur les contraintes européennes. Il l'est aussi à quiconque s'interroge sur l'indépendance de la statistique publique par rapport aux pouvoirs politiques. L'auteur y est farouchement attaché, il sait d’expérience qu'elle est quelquefois menacée, ce qu'il raconte sans détour.
« Déficit et dette en temps de crise » François Lequiller, avec la participation de François Ecalle - Economica 2018 – 29 €

Histoire(s) de(s) données numériques
La SFdS a lancé la collection de livres « Le monde des données ». Elle a pour ambition de proposer des ouvrages accessibles à un très large public.

Le premier de ces ouvrages vient de paraître. Intitulé « Histoire(s) de(s) données numériques », il présente de façon pédagogique et souvent amusante ce qu’il faut savoir sur la construction et l’utilisation des données numériques. Ce livre passionnera tous ceux qui sont intéressés par l’explosion des données numériques à laquelle nous assistons aujourd’hui. Il les aidera à explorer le monde des données…
« Histoire(s) de(s) données numériques » Jean-Jacques Droesbeke et Catherine Vermandele – EDP Sciences – 22 €


Agenda

Prochaines séances des Cafés de la statistique :
- lundi 16 avril : Statistique et Droits de l’Homme - Nicolas Fasel
- mercredi 23 mai : Administration de la preuve en médecine légale - Jack Siemiatycki
- mardi 12 juin (date à confirmer) : Le règlement européen sur la protection des données


Responsable de l’infolettre : Marion Selz, présidente du groupe SEP
Rédacteur en chef : Jean-Pierre Le Gléau
Secrétaire de rédaction : Jean-Louis Bodin
Webmestre : Érik Zolotoukhine

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