La statistique dans la cité n° 11 - Octobre 2018
Lettre bimestrielle du groupe « Statistique et enjeux publics »
Sommaire du n° 11


Éditorial :                                - Une statistique publique indépendante ?

Droit et statistique :              - Des compétences étendues pour l’ASP

Méthodes :                             - Des activités illégales font grossir le PIB !

Vie des institutions :             - Un témoignage de reconnaissance pour Andreas Georgiou

Agenda :                                 - 10° Colloque francophone sur les sondages
                                                - Colloque « Sondages et débat électoral »
                                                - Séminaire d’histoire de la statistique

Humeur :                                - Décidément les votes de paille ont la vie dure…

Les Cafés de la statistique : - Séances à venir


Editorial

Une statistique publique indépendante ?

L’indépendance professionnelle est le principe n° 1 du Code de bonnes pratiques de la statistique européenne. Elle est nécessaire pour assurer la crédibilité des statistiques européennes.

Ce principe se décline selon huit indicateurs. L’un d’eux stipule que les responsables des instituts nationaux de statistique et des autres autorités statistiques sont désignés uniquement en fonction de leurs compétences professionnelles. La France vient de faire un pas dans ce sens en publiant un décret encadrant la nomination du directeur général de l’Insee et des directeurs de la Dares et de la Drees par un avis de l’Autorité de la statistique publique (voir ci-dessous la rubrique « Droit et Statistique »).

Par ailleurs ce Code précise que l’indépendance des instituts nationaux de statistique à l’égard des interventions politiques et autres interférences externes dans le développement, la production et la diffusion des statistiques est inscrite dans la législation et garantie pour les autres autorités statistiques. C’est le cas en France puisque l’article 1er de la loi de 1951 énonce que « la conception, la production et la diffusion des statistiques publiques sont effectuées en toute indépendance professionnelle. »

On voit néanmoins dans ces rédactions que cette indépendance ne concerne pas l’ensemble du cheminement qui mène à l’établissement des statistiques. En particulier, il n’est pas écrit qu’elle doive s’exercer au moment où l’on décide quelles statistiques seront produites. En France, l’établissement de la liste des enquêtes de la statistique publique fait l’objet d’un long processus de concertation au sein du Conseil national de l’information statistique (Cnis). Il serait en effet anormal que ce programme résulte de la seule volonté des statisticiens, sans tenir compte de la demande de la société. Mais cette liste est finalement arrêtée par le ministre chargé de l’économie. Et c’est lui aussi qui décide du caractère obligatoire ou non de la réponse à ces enquêtes. Même si, en pratique, le directeur général de l’Insee a une délégation du ministre pour signer cet arrêté et pour décider quelles enquêtes seront obligatoires. Et, lorsque cette liste est établie, le service statistique public les réalise en toute indépendance professionnelle.

L’activité des statisticiens publics est également bornée par les ressources humaines, matérielles et financières que veut bien lui accorder la collectivité. De ce point de vue au moins, la situation est peu dépendante du statut de l’Institut national de statistique, qu’il soit, comme en France, direction de l’administration centrale ou, comme dans d’autres pays européens, une agence de type établissement public.

Un séminaire, en prologue à la récente conférence biennale de l’Association internationale pour les statistiques officielles (IAOS) qui s’est tenue au siège de l’OCDE à Paris, a justement porté sur les conditions de l’exercice de cette indépendance professionnelle. Il a souligné des cas flagrants de violation du principe d’indépendance, notamment en Grèce (voir ci-dessous la rubrique « Vie des institutions » et les numéros 6 et 10 de « La Statistique dans la cité »), en Argentine où les indicateurs statistiques ont été pendant huit ans manipulés sous la pression du gouvernement ou au Kazakhstan, où la directrice de l’Institut de statistique a été emprisonnée pour avoir fait valoir son droit à l’indépendance professionnelle.

Le champ d’application de cette indépendance professionnelle n’est cependant pas toujours facile à délimiter avec précision, surtout lorsque l’enquête statistique se combine avec une opération administrative, comme par exemple pour le recensement de la population. Le fait de rendre facultatives les réponses à certaines questions, comme cela fut le cas en 1975, porte-t-il ou non atteinte à l’indépendance professionnelle des statisticiens ? La réponse n’est pas claire. Un cas voisin s’est produit récemment au Canada avec l’injonction du gouvernement de remplacer l’un des questionnaires du recensement par une enquête facultative : s’agissait-il d’une violation de l’indépendance professionnelle des statisticiens ? Cinq ans après cette décision malencontreuse quant aux résultats obtenus, un nouveau Premier Ministre a rétabli le questionnaire supprimé.

Autant de questions sur lesquelles les réactions de nos lecteurs sont attendues.


Pour nous écrire : sep@sfds.asso.fr

Droit et statistique

Des compétences étendues pour l’ASP

Un décret du 20 septembre 2018(1) élargit les compétences de l’Autorité de la statistique publique (ASP).

L’ASP pourra émettre tout avis qu’elle estimera utile pour garantir le respect du principe d’indépendance professionnelle dans la conception, la production et la diffusion de statistiques publiques. Elle veillera notamment à une diffusion séparée des publications du service statistique public, distincte de toute communication ministérielle.

L’ASP émettra un avis, à l’occasion de la nomination du directeur général de l’Insee et des chefs de SSM ayant rang de directeurs d’administration centrale (actuellement la Dares et la Drees), à l’attention du comité d’audition établi pour la nomination des directeurs d’administration centrale.

Ces dispositions sont prises afin de rapprocher la France des recommandations inscrites dans le Code de bonnes pratiques de la statistique européenne.

(1) Décret n° 2018-800 du 20 septembre 2018 modifiant le décret n° 2009-250 du 3 mars 2009 relatif à l’Autorité de la statistique publique.


Méthodes

Des activités illégales font grossir le PIB !

Beaucoup de gens sont étonnés, voire indignés, lorsqu’ils apprennent que le trafic de stupéfiants contribue au produit intérieur brut (PIB). Pourtant, c’est bien le cas ! Pour la France, l’inclusion de la drogue dans le PIB est très récente, puisque c’est une des innovations introduites en 2018 à l’occasion du « changement de base » de la comptabilité nationale(2). La France ne fait que rejoindre en cela les autres pays européens. Quoique d’un montant non négligeable en valeur absolue, cette inclusion change très peu le niveau du PIB (+0,1 %) et n’a aucun effet discernable sur la mesure de la croissance. Est-elle justifiée ?

En comptabilité nationale, toutes les transactions « librement consenties » sont retracées, même si elles sont illégales. C’est pourquoi le travail au noir compte, et pour des montants très importants (surtout dans certains pays(3)). Il en va de même du trafic de drogue. En revanche, les activités mafieuses n’ont pas à être retracées : l’une des « parties prenantes » n’est pas consentante !

Si la France a longtemps tardé à inclure le trafic de stupéfiants, c’est justement parce qu’on peut douter du consentement des « addicts ». C’est par un raisonnement analogue que l’Insee exclut la prostitution du PIB, contrairement aux recommandations d’Eurostat.

Au-delà de son effet comptable, l’inclusion d’activités illégales dans le PIB rappelle que cet agrégat n’a rien de normatif : à la base, c’est seulement un constat. Faire de la croissance un objectif n’est pas inhérent à la comptabilité nationale.

(2) A intervalles réguliers, les comptables nationaux revisitent les définitions de leurs agrégats comptables, et les recalculent en utilisant les meilleures sources, pour une nouvelle « année de base » ; les comptes sont alors rétropolés ou extrapolés pour les autres années. En 2018, l’Insee a publié la « base 2014 » de la comptabilité nationale française.
(3) Il fait l’objet d’évaluations par recoupements, bien sûr affectées d’une grande incertitude.



Vie des institutions

Un témoignage de reconnaissance pour Andreas Georgiou

Le mardi 18 septembre 2018, à l'occasion de la conférence de l'IAOS (International Association for Official Statistics) a été remis à Andreas Georgiou un certificat de reconnaissance pour lui manifester le soutien de la communauté statistique internationale (voir les numéros 6 et 10 de « La Statistique dans la cité »). Ce certificat lui a été délivré par six organisations représentant cette communauté : l'International Statistical Institute (ISI), l'IAOS, FENStatS (Federation of European National Statistical Societies), la Royal Statistical Society, l'American Statistical Association (ASA) et la SFdS.

Vous trouverez ICI le lien vers le site de l'ISI qui relate brièvement la cérémonie de remise du certificat.



Agenda

1. Le 10e Colloque francophone sur les sondages se tiendra du 24 au 26 octobre 2018 à l’Université de Lyon. Il fera le point sur l’état des pratiques et de la recherche dans les divers domaines de la méthodologie des enquêtes.
Pour plus d’informations :
http://sondages2018.sfds.asso.fr/

2. Le 19 octobre 2018, la Commission des sondages du Conseil d'État et le Centre Maurice Hauriou organisent un colloque « Sondages et débat électoral ». Ce colloque a pour objet l’étude de l’impact des sondages d’intentions de vote sur le cours du débat électoral.
Pour plus d’informations :
http://recherche.parisdescartes.fr/cmh/Archives/19-octobre-2018-Sondages-debat-electoral

3. Le Séminaire d’histoire de la statistique, organisé à l’occasion de la 2e édition du prix Alain Desrosières se tiendra le jeudi 22 novembre (9h-17h) à l’Institut Henri Poincaré, Amphithéâtre Hermite
Pour plus d’informations :
https://www.sfds.asso.fr/ddoc-4837-a8eb2cca8558d86ddea966499d3f1c05-2018_1122_journee_shs.pdf
L’inscription à ce séminaire est gratuite mais obligatoire. Pour vous inscrire, connectez-vous à l’adresse suivante : https://webquest.fr/?m=55466_seminaire-histoire-de-la-statistique


Humeur

Décidément les votes de paille ont la vie dure …

Cette fois, c’est la Commission européenne elle-même qui vient d’utiliser cette pratique : son Président a annoncé que la Commission avait étudié la suppression de l’heure d’été sur la base d’une « consultation citoyenne » (c’est quand même plus chic que « vote de paille » !) pour laquelle 4,6 millions d’internautes se sont déclarés à 80 % favorables à une telle mesure.

Faut-il rappeler qu’un vote de paille, même s’il est qualifié de « consultation citoyenne », ne peut avoir la rigueur d’un sondage effectuée dans les règles de l’art. Faut-il rappeler que, en 1936, le magazine Literary Digest sur la base de 2,4 millions de réponses, avait prédit la victoire du gouverneur Landon contre Roosevelt avec 57 % des voix alors que le sondage réalisé par Gallup donnait bien Roosevelt vainqueur avec 57 % des voix (en réalité il en a eu 61 %).


Les Cafés de la statistique

Les Cafés de la statistique ont repris leur activité pour leur quatorzième saison !
    - Un « Café » s’est déjà tenu, le mardi 9 octobre, sur le thème de « La tentation radicale – Enquête auprès des lycéens » avec comme invité Olivier Galland.

Les suivants se tiendront :
    - le 13 novembre 2018 - « La mesure de la valeur dans une économie mondialisée et numérisée »
       Invitée : Florence Jany-Catrice
    - le 11 décembre 2018 - « Les risques émergents (l’humanité est-elle une menace pour les vivants ?) »
       Invités : Gérard Lasfargues et Marcel Goldberg
    - puis, début 2019, les Cafés suivants auront pour thème :
       Peut-on mesurer le bien-être ?
       Les nouvelles méthodes d’évaluation des élèves
       (dates et invités à préciser)

Les « Cafés de la statistique » ont lieu de 19h00 à 21h30 au Café du Pont Neuf, 14 quai du Louvre, Paris 1er (Métro Pont-Neuf, Chatelet ou Louvre-Rivoli)

Tous les exposés des invités des séances de la saison dernière sont désormais accessibles en vidéo sur le site du groupe SEP ; certains cafés ont également fait l'objet d'un compte-rendu téléchargeable au même endroit.

Tous nos lecteurs sont invités à proposer des thèmes qui pourraient être retenus
pour de futurs cafés statistiques.


Responsable de l’infolettre : Marion Selz, présidente du groupe SEP
Rédacteur en chef : Jean-Pierre Le Gléau
Secrétaire de rédaction : Jean-Louis Bodin
Webmestre : Érik Zolotoukhine

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