La statistique dans la cité n° 12 - décembre 2018
Lettre bimestrielle du groupe « Statistique et enjeux publics »
Sommaire du n° 12


Éditorial :                                - Des collaborations exemplaires entre l’Insee et les communes

Méthodes :                             - Mécompte en Colombie
                                                - Combien de décès liés au passage des ouragans
                                                  Irma et Maria à Porto Rico ?

Vie des institutions :             - Un recensement en perpétuelle évolution
                                                - Vers des listes électorales mieux apurées en 2019
                                                - Courrier des statistiques : le retour !

Agenda :                                 - Le 10e Colloque Francophone sur les Sondages
                                                - Compétition européenne de statistiques

Humour :                                - Un hommage inattendu rendu aux Cafés de la statistique ?

Les Cafés de la statistique : - 8 janvier 2019 : Pourquoi et comment mesurer le bien-être ?


Editorial

Des collaborations exemplaires entre l’Insee et les communes

Voici déjà seize ans que la loi a mis en place la collaboration de l’Insee et des communes pour la collecte du recensement de la population. Jusqu’alors, celle-ci s’effectuait sous la responsabilité du maire (et non de la commune), exerçant ses fonctions au nom de l’État. La répartition des tâches entre l’État et les collectivités locales, très complexe, peut se résumer ainsi : l’Insee organise et contrôle la collecte ; les communes la préparent et la réalisent. Une fois collectés, les bulletins sont remis à l’Insee, qui les exploite. Cette collaboration originale entre des communes et une administration de l’État se passe dans de plutôt bonnes conditions, malgré quelques petits accrocs initiaux. Elle est le fruit d’une longue et intense concertation avant sa mise en route effective. Cette concertation se poursuit sous l’égide du Cnis, au travers de la Commission nationale d’évaluation du recensement. Cette instance réunit notamment des élus locaux, des représentants des personnels territoriaux, et d’autres institutions intéressées par le recensement, ainsi que des personnalités qualifiées, dont l’une est explicitement désignée comme membre de la SFdS. Ses travaux, animés d’abord par le sénateur Jean-Claude Frécon, puis maintenant par le sénateur Claude Raynal contribuent indiscutablement à l’acceptation par tous de cette formule de collecte du recensement et à l’amélioration de sa qualité (voir ci-dessous « Un recensement en perpétuelle évolution »).

Dans d’autres domaines, la collaboration entre l’Insee et les mairies s’avère fructueuse, chaque partie apportant à l’autre sa compétence, dans le but commun de produire des informations de qualité. Depuis longtemps, les statistiques d’état civil sont ainsi coproduites par l’Insee et les mairies.

Pour l’établissement des listes électorales, un nouveau système sera mis en place à l’occasion des prochaines élections européennes. Il donnera un rôle plus important à l’Insee dans la mise à jour de ces listes (voir ci-dessous « Vers des listes électorales mieux apurées en 2019 »).


Pour nous écrire : sep@sfds.asso.fr

Méthodes

Mécompte en Colombie

Le récent recensement de la population de Colombie décompte 45,5 millions d’habitants. On en attendait presque 50 millions (49,8 selon les projections)… Certes, un recensement est toujours approximatif, à 1 voire 2 % près ; les meilleurs descendent à 0,5 %. On en est loin ici, à presque 10 %.

Différentes causes de sous-enregistrement sont évoquées. Malgré la presque résorption des guérillas, des zones d’insécurité subsistent et la police a parfois refusé d’accompagner les agents recenseurs ; d’autres raisons techniques sont invoquées pour expliquer une possible mauvaise qualité de la collecte : insuffisance de moyens, pressions à la productivité, défaillance de sous-traitants, … Aussi, le DANE1 (Departamento Administrativo Nacional de Estadística) innovait avec une possibilité de réponse par Internet. Des tests avaient été faits depuis deux ans, mais il semble que la plate-forme n’ait pas été disponible pensant toute la période de collecte. En revanche, le DANE développe une utilisation de répertoires administratifs, notamment fiscaux, qui devrait assurer une meilleure couverture.

Toutes ces difficultés ont sans doute pu jouer plus ou moins. Mais elles ne sauraient expliquer un écart si important. L’explication est sans doute à rechercher du côté de la projection. Divers obstacles ont fait que la Colombie n’avait pu faire de recensement depuis 2005. Une projection à 13 ans est fatalement incertaine. D’autant que la société colombienne a connu d’importantes mutations. La plus notable est la réduction de la fécondité, la transition démographique entamée depuis quelques décennies n’étant pas achevée. En revanche, quelques facteurs auraient dû jouer en sens inverse. Notamment, la Colombie a enregistré une forte immigration due à la situation politique du Venezuela, que bien entendu la projection n’avait pu prévoir : le recensement décompte ainsi 800 000 personnes soit Vénézuéliens, soit expatriés Colombiens de retour.

Une projection de population recèle parfois des surprises. En France, dans des circonstances moins troublées et avec une anticipation moitié moins longue, une projection fondée sur le recensement de 1962 avait fait estimer que le cap des 50 millions d’habitants serait franchi en septembre 1967, précisément le 25. En vue de sensibiliser la population aux questions démographiques à l’approche du recensement de 1968, l’Insee avait tiré parmi les naissances de ce jour une « cinquante-millionième Française », que la presse avait célébrée. Las ! quelques mois plus tard, notre recensement ne décomptait que 49,8 millions d’habitants…

[sources : voir notamment https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-46146957, ainsi que l’interview du directeur du DANE le 25 novembre 2018

(1) Institut colombien de statistique


Combien de décès liés au passage des ouragans Irma et Maria à Porto Rico ?

En septembre 2017, les ouragans Irma et Maria ont durement frappé l’île de Porto Rico, territoire associé aux États-Unis.

Depuis cet été, une polémique a vu le jour à propos du nombre de victimes de ces ouragans. Une étude réalisée en juillet par l'Université George Washington (GWU, la principale université du district de Columbia) a estimé que ces ouragans avaient causé, dans les six mois qui les ont suivi, le décès de 2 975 personnes, en raison de l'insuffisance des soins de santé et du manque d'électricité et d'eau potable. Cette estimation allait bien au-delà du bilan initial, qui, toujours selon GWU, s’était établi à 64 personnes tuées directement par noyade, par les débris volants ou par l'effondrement d'un bâtiment. Les coupures de courant répétées ont également entraîné une augmentation du nombre de décès dus au diabète et à la septicémie. En mai dernier, des chercheurs en santé publique de Harvard avaient publié une étude estimant que le nombre de morts était encore plus élevé et estimé qu'environ 4 600 personnes étaient mortes à Porto Rico à la suite de ces ouragans suite à des soins médicaux retardés.

Le Président Trump a immédiatement contesté ces estimations qui pouvaient laisser entendre que le gouvernement fédéral n’avait pas fait les efforts nécessaires, suite à ces évènements. Il tweete le 13 septembre 2018 : « 3 000 personnes ne sont pas mortes dans les deux ouragans qui ont frappé Porto Rico. Quand j'ai quitté l'île, APRÈS la tempête, ils ont eu entre 6 et 18 morts. Au fil du temps, il n’a pas augmenté de beaucoup. Puis, longtemps après, ils ont commencé à rapporter de très grands nombres, comme 3 000… ». Il ne revient pas à « La Statistique dans la cité » de commenter les discussions politiciennes qui ont suivi. Mais cette controverse peut être l’occasion de rappeler que les démographes définissent plusieurs causes de décès : une cause immédiate, une cause initiale, et si nécessaire des causes associées. Dans le cas des ouragans subis par les Portoricains, il est certain que les décès directement causés par les ouragans de septembre 2017 (« cause immédiate ») ont été en nombre limité (6 à 18 selon Donald Trump et plus vraisemblablement 64 d’après l’étude de GWU), mais il est tout aussi certain qu’une part non négligeable et beaucoup plus importante des décès constatés depuis septembre 2017 n’auraient pas eu lieu si Irma et Maria n’avaient pas frappé l’île et que la « cause initiale » de ces décès est donc bien due aux ouragans.

Estimer le nombre de décès dus à une cause initiale liée à une catastrophe n’est certes pas aisé. Mais on ne peut évidemment pas se limiter aux décès dont la cause immédiate est cette catastrophe. Rappelons que le premier Café de la statistique en décembre 2005 avait précisément pour thème « La canicule de 2003, deux ans après ».


Vie des institutions

Un recensement en perpétuelle évolution

La commission nationale du recensement de la population (Cnerp) est placée auprès du Conseil national de l’information statistique (Cnis). Elle est chargée de l’évaluation des modalités de collecte des informations recueillies à l’occasion du recensement de la population.

Lors de sa réunion du 16 octobre 2018, elle a examiné un certain nombre de questions relatives à la collecte du recensement :
- possibilité pour les communes de confier les opérations de collecte à un prestataire sous-traitant, tel par exemple que La Poste. Une expérimentation de ce dispositif pourrait avoir lieu en 2020 ou 2021 ;
- possibilité laissée à l’agent recenseur de déposer les informations dans la boîte aux lettres pour réponse par Internet, de sorte qu’il réserve ses visites aux personnes qui ne répondent pas spontanément par Internet et aux situations difficiles (test en cours) ;
- mise en production de la dématérialisation de la collecte des résidences non principales : il ne sera plus nécessaire de renseigner des questionnaires papier pour ce type de logements, ce qui représentera un million de questionnaires papier en moins chaque année ;
- examen des conséquences pour le recensement de la suppression de la taxe d’habitation. Actuellement, le fichier de la taxe d’habitation est utilisé pendant la collecte, en permettant un comptage des logements par voie ou par adresse, afin de les comparer aux travaux de collecte en cours ; c’est en quelque sorte un garde-fou. Ensuite, il sert au contrôle après la collecte, en comparant le nombre de logements à l’adresse aux résultats issus de l’enquête annuelle de recensement. Il peut servir dans ce cas comme élément indiquant que certains ménages doivent être recontactés. Enfin, et surtout, le fichier de la taxe d’habitation est utilisé pour extrapoler les populations des petites communes entre deux interrogations exhaustives. Même en cas de suppression totale de la taxe d’habitation, le fichier pourrait subsister, mais il est peu probable que la direction générale des finances publiques accepte de maintenir le même niveau de qualité sur ce fichier alors qu’il n’aura plus ou que peu de finalité fiscale.

Pour en savoir plus :
https://www.cnis.fr/wp-content/uploads/2018/04/CR-d%C3%A9f_2018_30e_reunion_Cnerp-1.pdf


Vers des listes électorales mieux apurées en 2019

La façon dont sont établies les listes électorales va profondément changer à partir des élections européennes de mai 2019.

Jusqu’aux dernières élections, le processus de mise à jour était le suivant : chaque commune gérait sa propre liste électorale. Lorsqu'une personne décidait de s’inscrire dans la commune A dans laquelle elle venait d'emménager, la mairie de A l’ajoutait dans sa liste et transmettait cette information à l'Insee. L'Insee, qui gère un fichier dans lequel chaque personne est identifiée par son nom, son prénom, sa date de naissance et son lieu de naissance (le RNIPP2) vérifiait, en combinant celui-ci et le fichier électoral, si cette personne était en droit de voter et si elle était déjà inscrite ailleurs. Si la personne était déjà inscrite dans une commune B, l'Insee demandait à cette dernière de rayer l'électeur de sa liste. De même, lors du décès d’une personne, l’Insee demandait à la commune dans laquelle cette personne était inscrite d’effectuer sa radiation.

Ce système comportait des risques de doubles inscriptions (au cas où la commune B ne procéderait pas à la radiation demandée par l’Insee) ou à des absences de radiation des électeurs décédés. Dans ces deux cas, cela pouvait même conduire à des fraudes.

Désormais, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2016, les listes électorales communales ne sont plus produites par les communes, mais extraites automatiquement, pour chaque commune, d’un « répertoire électoral unique » (REU) géré par l’Insee en continu à partir des informations transmises par les communes ou parfois par d’autres administrations. Sans que les règles d’inscription ou les possibilités de recours des citoyens soient modifiées, ce nouveau mode de gestion garantit que les électeurs à radier pour quelque cause que ce soit (double inscription, décès, privation des droits civiques, …) le sont effectivement dans les listes utilisées par les mairies.

La nouvelle procédure donne aussi plus de souplesse aux électeurs en autorisant des modifications de listes jusqu’à une date proche du scrutin, au-delà donc du 31 décembre de l’année précédente comme jusqu’à présent.

Elle pourrait entraîner une (légère) baisse apparente des taux d’abstention.

(2) RNIPP : « répertoire national d’identification des personnes physiques ». L’avantage de ce fichier est que chaque personne y figure une fois et une seule


Courrier des statistiques : le retour !

Comme nous l’annoncions dans le numéro 9 de « La statistique dans la cité », l’Insee a décidé de reprendre la parution du « Courrier des Statistiques ». Le premier numéro de cette nouvelle série est maintenant disponible sur le site de l’Insee à l’adresse : https://www.insee.fr/fr/information/3622502

Toute l’équipe de rédaction de « La statistique dans la cité » souhaite la bienvenue et un plein succès à son nouveau confrère !


Agenda

Le 10e Colloque Francophone sur les Sondages

Du 24 au 26 octobre 2018 s’est tenu à Lyon le dixième Colloque Francophone sur les Sondages. Cette réunion biennale placée sous l’égide de la SFdS permet à de nombreux praticiens et chercheurs de multiples nationalités d’échanger sur les grandes évolutions de la science statistique des enquêtes.

Organisées sous la houlette générale et efficace de Pascal Ardilly, administrateur de l’Insee, appuyé par Camelia Goga, professeur à l’Université de Bourgogne Franche-Comté et présidente du comité scientifique, ces journées ont regroupé environ deux cents personnes, pour des sessions portant sur des thématiques diverses : soit appliquées, comme les transports, les statistiques administratives, les enquêtes électorales, l’audience des médias, la protection des données personnelles (session organisée par le groupe Statistique et Enjeux Publics de la SFdS, proposant des visions croisées entre France-Europe, Maroc et Canada), soit théoriques, telles que l’hybridation entre données d’enquêtes et Big Data, les collectes multi-modes, les populations rares ou les petits domaines.

Ce Colloque continue de bien respecter sa dimension francophone puisque, après Gatineau au Canada en 2016, son édition 2020 aura lieu à Bruxelles.

Lors du Colloque lyonnais a été remis le prix Joseph Waksberg, destiné à reconnaître les éminents apports aux méthodologies d’enquêtes d’auteurs internationalement reconnus. Son lauréat pour 2018 est Jean-Claude Deville, inspecteur général honoraire de l‘Insee ; il est le premier Français à recevoir ce prix, succédant - entre autres - à Wayne Fuller, Graham Kalton ou Carl-Erik Särndal.


Compétition européenne de statistiques

La première édition 2017/2018 de la compétition européenne de statistiques a mobilisé plus de 11 000 élèves de 14 à 18 ans : C’est une équipe finlandaise qui a été couronnée (cf. https://www.insee.fr/fr/information/3142481).

Fort de ce succès, l’Insee, associé à Eurostat et 15 instituts nationaux de statistiques européens, organise la deuxième édition 2018/2019 de cette compétition destinée à un public jeune : les inscriptions sont ouvertes depuis le 6 novembre 2018, et les épreuves débutent le 14 janvier 2019.

Cette opération (cf. https://www.insee.fr/fr/information/3621206) d’abord nationale, puis européenne vise à promouvoir la curiosité et l'intérêt des élèves pour les statistiques, leur montrer l’enjeu sociétal qu’elles représentent. Elle a aussi pour objectif de proposer aux enseignants une approche nouvelle pour travailler sur les données officielles et valider la bonne acquisition de concepts statistiques par les élèves, et promouvoir le travail en équipe et l’esprit de collaboration.


Humour

Un hommage inattendu rendu aux Cafés de la Statistique ?

Le 15 octobre dernier, le nouvel immeuble de l’Insee à Montrouge (voir le n° 09 du 15 avril 2018 de « La Statistique dans la cité ») a été officiellement inauguré par le directeur général Jean-Luc Tavernier et Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Dans son allocution, le ministre a notamment évoqué l’importance des travaux de l’Insee « pour éclairer d’un regard pertinent de multiples débats de société ». Les fidèles des Cafés de la statistique reconnaîtront dans cette appréciation le thème général autour duquel sont organisés nos Cafés : « la statistique éclaire-t-elle les grandes questions qui traversent nos sociétés ? » Plagiat ou hommage rendu au groupe « Statistique et Enjeux Publics » ?


Les Cafés de la statistique

Les Cafés de la statistique ont repris leur activité pour leur quatorzième saison !
- Le dernier « café » s’est tenu, le mardi 11 décembre 2018, sur le thème « Les risques émergents - Notre civilisation : une menace pour le vivant ? » avec comme invités Marcel Goldberg, médecin, épidémiologiste, membre de l’Unité Cohortes, épidémiologiques en population, Unité mixte de service 011 INSERM-Université Paris Descartes et Gérard Lasfargues, médecin, directeur général délégué du "Pôle Sciences pour l'expertise" de l’Anses.

Le suivant se tiendra le 8 janvier 2019 sur le thème « Pourquoi et comment mesurer le bien-être ? », avec comme invitée Martine Durand, cheffe statisticienne de l’OCDE, ancienne élève de l’Ensae.

Les « Cafés de la statistique » ont lieu de 19h00 à 21h30 au Café du Pont Neuf, 14 quai du Louvre, Paris 1er (Métro Pont-Neuf, Châtelet ou Louvre-Rivoli).

Tous nos lecteurs sont invités à proposer des thèmes qui pourraient être retenus
pour de futurs « Cafés de la statistique »
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Rédacteur en chef : Jean-Pierre Le Gléau
Secrétaire de rédaction : Jean-Louis Bodin
Webmestre : Érik Zolotoukhine

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