La statistique dans la cité n° 13 - février 2019
Lettre bimestrielle du groupe « Statistique et enjeux publics »
Sommaire du n° 13


Éditorial :                                 - Toutes les opinions se valent-elles ?

Méthodes :                              - Recensement des personnes sans abri en février 2019 à Paris

Le saviez-vous ?                     - Nouvel usage pour les anciens locaux de l’Insee

Vie des institutions :              - Le CASD se transforme en groupement d’intérêt public
                                                 - Toute vérité est-elle bonne à dire ?

Lu pour vous :                         - Deux publications de l’OCDE
                                                 - Un rapport du Cnis

Les Cafés de la statistique : - Séances à venir


Editorial

Toutes les opinions se valent-elles ?

Les utilisateurs des médias traditionnels (télévision, radio, presse écrite, …) ou des « réseaux sociaux » peuvent constater chaque jour une avalanche de prises de position contradictoires, prétendant souvent s’appuyer sur des informations chiffrées. Le traitement médiatique de la crise sociale actuelle (les « gilets jaunes ») a accéléré ce phénomène. Les journalistes et les animateurs ont souvent du mal à canaliser les prises de parole, peut-être par manque d’informations fiables pour que puisse être correctement faite la part des choses. Les chiffres mis en avant à partir de sources contrôlées sont souvent présentés au même niveau que ce que les anglophones appellent des « fake news » (pour lesquelles on a créé le mot français « infox »). Il n’est pas toujours facile de démontrer que certaines infox sont contraires à la réalité des faits. Leurs auteurs en sont parfois conscients, et ils utilisent alors des statistiques sciemment biaisées pour imposer leur point de vue en se disant que, comme le dit un adage populaire, rien ne ressemble plus à un chiffre juste qu’un chiffre faux. Le citoyen peut-il alors se forger une opinion éclairée sur des questions telles que celles soulevées ces dernières semaines : comment a évolué le « pouvoir d’achat » ? que recouvre d’ailleurs cette notion de « pouvoir d’achat » ? la France est-elle un pays plus inégalitaire que ses partenaires de l’UE ? les inégalités ont-elles progressé depuis la crise de 2008 ?

Dans ce maelstrom de données dont on a parfois du mal à savoir si elles sont vérifiées ou fantaisistes, certains médias essaient de faire le tri et de faire la chasse aux « infox » et d’éduquer leurs utilisateurs en essayant de « décoder » les informations disponibles et de repérer les « infox ». D’autres pensent, de bonne ou de mauvaise foi, qu’il est de bonne pratique que toutes les opinions soient présentées sur un pied d’égalité, qu’elles s’appuient sur des faits vérifiés et réels ou sur des infox ou des statistiques volontairement détournées de leur signification. Telle n’est pas l’opinion du comité de rédaction de « La statistique dans la cité » ; sans avoir les moyens dont disposent les grands médias, nous nous efforçons de ne présenter que des faits fondés sur des chiffres établis de façon transparente et vérifiable. Nous estimons que ce n’est pas informer le lecteur que de lui présenter dans la même vitrine des faits et chiffres établis et vérifiables, et des chiffres uniquement destinés à servir une cause, sans aucun respect de leur véracité, de leur fiabilité ou de leur qualité.


Pour nous écrire : sep@sfds.asso.fr

Méthodes

Recensement des personnes sans abri en février 2019 à Paris

En 2018, lors de la première nuit de la Solidarité, 3 035 personnes sans solution d’hébergement cette nuit-là, ont été recensées dans Paris. Plus de 2 000 personnes dormaient dans la rue, une tente ou une voiture. Les autres étaient comptabilisées dans les salles d’urgence des hôpitaux de l’AP HP, les sept gares parisiennes, les stations de métro et quelques parkings publics…

Cette opération de décompte a minima, a permis de mettre en lumière la part croissante des femmes : 12 % de femmes sans abri. Près d’un sans-abri sur deux est à la rue depuis plus d’un an et près des deux tiers déclarent ne jamais avoir recours à un dispositif d’urgence sociale : ce sont quelques-uns des éléments fournis par l’étude réalisée par l’Atelier parisien d’urbanisme à partir des questionnaires remplis lors de la nuit de la Solidarité (https://www.apur.org/fr/nos-travaux/situation-rue-paris-nuit-15-16-fevrier-2018).

Après cette première édition, qui s’inspirait de la méthode développée à New York et expérimentée par d’autres grandes villes européennes (Athènes, Bruxelles), une nouvelle nuit de la Solidarité a été organisée par la Mairie de Paris dans la nuit du 7 au 8 février 2019. 367 équipes menées par des professionnels du social, accompagnés par environ 1 700 bénévoles, ont quadrillé Paris (353 secteurs) à la rencontre des plus démunis.

L’objectif est de mener une opération de décompte des personnes en situation de rue, de pouvoir comparer les données d’une année sur l’autre et de mesurer le plus finement possible l’évolution des profils et des besoins de ces publics. Dans la nuit du 7 au 8 février 2019, on a recensé 3 622 personnes sans solution d'hébergement, soit 587 de plus qu’en 2018, mais le périmètre a été élargi aux halls d’immeuble du bailleur social Paris Habitat.

La séance du café de la Statistique du 9 avril prochain sera consacrée au thème des personnes sans domicile : Quels profils ? Quels itinéraires ?


Le saviez-vous ?

Nous vous avions fait part du déménagement de la direction générale de l’Insee à Montrouge (« La statistique dans la cité », n°9, avril 2018). Les anciens locaux, porte de Vanves, sont restés vides plusieurs mois. Ils viennent de trouver une utilisation inattendue : l’État a décidé d’y ouvrir 300 places d’hébergement temporaire pour personnes sans domicile fixe fin 2018. À terme, ces bâtiments devraient être démolis.


Vie des institutions

Le CASD se transforme en groupement d’intérêt public

Le Centre d’accès sécurisé aux données (CASD) est un équipement conçu pour permettre aux chercheurs de travailler à distance sur les données confidentielles de la statistique publique grâce à un dispositif hautement sécurisé. Depuis sa création, il était une des composantes du Genes (Groupement des écoles nationales d’économie et de statistique).
Voir le site : https://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/8288/1/cs130e.pdf

En 2011, le Genes est devenu un établissement public indépendant de l’Insee et le CASD a été sélectionné comme équipement d’excellence (Equipex) dans le cadre du Programme Investissements d’Avenir.

Afin d’anticiper le tarissement du financement Equipex, dont le dernier versement est prévu en décembre 2019, et permettre la pérennisation du CASD, l’Insee, le Genes, le CNRS, l’École polytechnique et HEC Paris, ont décidé de constituer un Groupement d’intérêt public (GIP). Personne morale publique à but non lucratif dotée de l’autonomie administrative et financière, dont l’arrêté de création a été publié au journal officiel le 29 décembre 2018, le GIP poursuivra l’exécution des missions du CASD. Cela va également faciliter le déploiement de la technologie développée par le CASD auprès du secteur privé, dont les résultats permettront de limiter les coûts supportés par les utilisateurs poursuivant des finalités de recherche, d’études, d’évaluation et d’innovation.

Cette transformation ouvre de nouvelles perspectives pour le CASD. Elle permet d’abord de sanctuariser sa mission de service à la recherche, aux études, à l’évaluation et à l’innovation en l’inscrivant dans ses statuts. Le rôle du CASD en tant que tiers de confiance pour la mise à disposition sécurisée des données confidentielles en sera ainsi renforcé, en particulier dans le contexte de la mise en application du Règlement Général de Protection des données (RGPD). Ce rôle, le CASD l’a acquis au fil du temps. Il évite d’une part aux producteurs de données des investissements lourds pour la mise en place d’une infrastructure sécurisée offrant aux utilisateurs de bonnes conditions pour l’accès à leurs données (délais, disponibilité, ergonomie, logiciels...). Il minimise d’autre part les coûts de fonctionnement grâce à la mutualisation de ce service tout en permettant d’homogénéiser les pratiques et de rendre possible au sein d’un même environnement de travail l’accès à des données provenant de plusieurs producteurs ; facilitant ainsi l’utilisation conjointe ou les appariements. À cet égard, on observe dans de nombreux pays que le développement de plusieurs centres d’accès sécurisés par domaine a conduit à rendre très longue et coûteuse la réalisation d’appariements ou l’utilisation conjointe de plusieurs sources de données provenant de différents producteurs. La possibilité, quasiment unique au monde, de pouvoir disposer de données de nombreux producteurs au sein d’un même environnement explique en grande partie pourquoi un nombre de plus en plus important de chercheurs étrangers demandent l’accès aux données françaises.


Toute vérité est-elle bonne à dire ?

Dans un article paru le 22 novembre dernier et reproduit par Courrier International, le New York Times fait référence au résultat de projections démographiques annonçant que, en 2044, il n’y aurait plus aux États-Unis que des « minorités majoritaires », c’est-à-dire pour parler plus simplement que, à partir de 2044, la population qui se déclare de « race blanche » représenterait moins de la moitié de la population totale du pays. Ces projections sont basées sur les résultats des recensements décennaux de population. Kenneth Prewitt, qui a dirigé de 1998 à 2001 le Bureau du recensement avait été troublé quand il a vu cette projection reproduite dans un rapport gouvernemental, projection qui faisait apparaître cette évolution démographique comme un jeu à somme nulle que les Blancs étaient « en train de perdre » et que cela risquait, selon lui, de provoquer un retour de bâton politique. Il avait donc pris l’initiative d’organiser avec Katherine Wallman, à l’époque cheffe statisticienne des États-Unis, un groupe de réflexion avec des sociologues et psychologues.

Certes les chiffres publiés n’étaient absolument pas mis en cause. Mais les chercheurs du panel mis en place ont tous estimé que ces projections étaient de nature à effrayer les citoyens se considérant comme étant de « race blanche » mais qu’il avait aussi été mis en évidence qu’on pouvait déclencher beaucoup moins d’inquiétude en présentant les chiffres différemment. Il est en effet difficile de comptabiliser par « races » parce que, contrairement aux revenus ou à l’emploi, c’est une « catégorie sociale » qui varie en fonction de l’évolution de la culture, de l’immigration et des idées sur la génétique. Et la définition des personnes comptabilisées aux États-Unis comme « Blanches » a changé au fil du temps. Certains chercheurs remettent également en cause les présupposés du Bureau du recensement et se demandent s’il est vraiment utile de faire une projection de la population américaine dans une époque de rapide évolution démographique.

Cet article nous conduit à réfléchir aux conditions dans lesquelles les données sont diffusées. Il est hors de question de ne pas diffuser certains chiffres sous le prétexte qu’ils pourraient être mis au service de « mauvaises causes » ; mais il faut veiller à ce que la diffusion des chiffres soit accompagnée de toutes les données nécessaires à bien comprendre ce qu’ils signifient, et comment et dans quel but ils ont été produits. Toute vérité est sans doute en effet bonne à dire, encore faut-il savoir comment la dire !


Lu pour vous

Deux publications de l’OCDE

L’OCDE vient de publier deux ouvrages importants qui seraient, entre autres, susceptibles d’apporter un éclairage sur la crise actuelle des « gilets jaunes ». Il s’agit d’une part du rapport annuel « Comment va la vie ? Mesurer le bien être » et d’autre part du rapport d’un groupe d’experts de haut niveau « For Good Measure – Advancing Research on Well-being Metrics Beyond GDP ». Ces deux ouvrages ont servi de base lors du café du 9 janvier dernier au cours duquel Martine Durand, cheffe statisticienne de l’OCDE, est venue introduire le thème de ce café « Pourquoi et comment mesurer le bien être ».

À la suite du rapport publié en 2009 de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social (commission Stiglitz – Sen – Fitoussi) mise en place par Nicolas Sarkozy, l’OCDE avait lancé l’initiative « Pour une vie meilleure » dans le cadre de laquelle est publié tous les deux ans le rapport « Comment va la vie ? ». Toujours dans ce cadre, il a été décidé de mettre à jour le rapport Stiglitz de 2009 en confiant à un groupe d’experts de haut niveau le soin de reprendre les pistes du rapport de 2009, notamment en ce qui concerne la mesure des inégalités économiques et sociales, du bien-être subjectif ou de la soutenabilité de la croissance ; ce nouveau rapport préconise aussi la mise en place de nouveaux indicateurs relatifs à la confiance, à la sécurité ou à l’égalité des chances.

Ces deux ouvrages peuvent être commandés en ligne sur le site de la bibliothèque de l’OCDE (www.oecd-library.org) mais peuvent également être consultés (sans possibilité de téléchargement) à travers les liens :
http://www.oecd.org/fr/statistiques/comment-va-la-vie-23089695.htm
https://read.oecd-ilibrary.org/economics/for-good-measure_9789264307278-en


Un rapport du Cnis

Le Cnis a publié le 31 janvier son avis sur le programme à moyen terme du service statistique public français. Son avis est disponible sur le lien :
https://www.cnis.fr/wp-content/uploads/2018/11/Avis-Moyen-Terme-2019-2023-du-Cnis_AP-valid%C3%A9s-1-1.pdf


Les Cafés de la statistique

Les cafés de la statistique ont repris leur activité pour leur quatorzième saison !
Les derniers « cafés » se sont tenus :
- le mardi 8 janvier 2019, sur le thème « Comment et pourquoi mesurer le bien-être ? » avec Martine Durand (directrice de la statistique à l’OCDE)
- le mardi 12 février 2019, sur le thème « L’utilisation de la statistique dans le domaine du sport », avec Geoffrey Lefebvre (Injep) et Geoffroy Berthelot (Insep)
Les suivants se tiendront :
- le mardi 12 mars 2019, sur le thème « La transition énergétique. Préparation de la PPE », avec comme invité Richard Lavergne (CGE)
- le mardi 9 avril 2019, sur le thème « Le décompte des sans domicile » avec Stéphane Legleye (Insee)

Les « Cafés de la statistique » ont lieu de 19h00 à 21h30 au Café du Pont Neuf, 14 quai du Louvre, Paris 1er (Métro Pont-Neuf, Châtelet ou Louvre-Rivoli)

Tous nos lecteurs sont invités à proposer des thèmes qui pourraient être retenus
pour de futurs « Cafés de la statistique »
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