La statistique dans la cité n° 16 - octobre 2019
Lettre bimestrielle du groupe « Statistique et enjeux publics »
Sommaire du n° 16


Éditorial

Vie des institutions :              - Polémique sur la fraude sociale : le RNIPP mis en cause
                                                 - Nouvelles du recensement de la population aux USA
                                                 - L’intégrité du système statistique brésilien est-elle menacée ?

Lu pour vous :                         - Un dossier sur l’utilisation des données de caisse pour produire l’IPC

Humour (noir) :                       - Qu’est ce qu’un « bon IPC » en Argentine ?

Annonce :                                - Vient de paraître : Le Nombre et la Cité

Agenda :                                  - Les cafés de la statistique
                                                 - L’année des maths


Editorial

La Statistique dans la cité reprend sa parution bimestrielle après la trêve estivale.

2019 aura été l’année du 25ème anniversaire de l’adoption par la Commission de statistique des Nations-Unies des Principes Fondamentaux de la Statistique Officielle(1). Ces principes avaient été préparés en 1991 par la Conférence des Statisticiens européens à la demande des pays d’Europe Centrale et Orientale (les PECO) qui venaient d’entamer leur transition vers la démocratie et l’économie de marché(2). Ils ont permis de prendre position à l’occasion de violations des principes éthiques de la statistique ou de persécutions de statisticiens exerçant correctement leurs métiers. Sur ces 25 dernières années, les exemples ont hélas été nombreux et La Statistique dans la cité s’en est souvent fait l’écho ; par exemple, les statistiques du commerce extérieur aux USA (n°5), le harcèlement subi par Andreas Georgiou, ancien Président de l’Autorité Statistique Hellénique, Elstat (n°6, n°10, n°11 et n°14), les incidents autour de la procédure de déficit excessif ou autour de la note de conjoncture de l’Insee (n°8), les statistiques ethniques (n°9 et n°10), ou encore les suites des ouragans Irma et Maria à Porto-Rico (n°12) ; plusieurs éditoriaux de notre infolettre ont aussi essayé de faire le point sur les questions éthiques que notre profession doit aborder. Le respect des principes est essentiel pour garantir la fiabilité des statistiques produites et s’assurer la confiance des utilisateurs.

Les Principes adoptés au niveau des Nations-Unies ont depuis été complétés par des codes tels que le Code de bonnes pratiques de la statistique européenne, la Charte africaine de la statistique ou la Charte statistique pour les pays de l’Asean. Le code européen en particulier propose une série d’indicateurs qui permettent à chaque partenaire de porter un jugement sur le respect des règles éthiques.

C’est aussi le rôle des sociétés savantes de statistique que de veiller au respect de ces règles. Elles sont souvent mieux placées que les institutions pour dénoncer les manquements. La Statistique dans la cité peut être un des vecteurs de cette veille ; trois situations sont évoquées dans ce numéro (USA, Brésil, Argentine). La réaction de l’Insee suite à la mise en cause du RNIPP fait aussi partie des actions de nature à renforcer la confiance du public (même si le RNIPP n’est pas à proprement parler un outil statistique).

Faire vivre notre infolettre requiert la participation active de ses lecteurs, qui sont invités à proposer au comité de rédaction des brèves ou de courts articles.

(1) On peut trouver le texte intégral de ces Principes sur le site des Nations-Unies
(2) La genèse de l’élaboration de ces Principes se trouve au chapitre 5 de l’’ouvrage édité en 2003 à l’occasion du 50ème anniversaire de la Conférence des Statisticiens Européens


Pour nous écrire : sep@sfds.asso.fr

Vie des institutions

Polémique sur la fraude sociale : le RNIPP mis en cause ?

Lors d'une conférence de presse le 3 septembre, Nathalie Goulet, sénatrice, et Carole Grandjean, députée présentant leur rapport d’étape dans le cadre de leur mission « Comment lutter contre la fraude sociale ? », ont mis en cause la tenue par l’Insee du répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) et envisagé un audit extérieur sur la gestion de celui-ci.
Les auteures du rapport, considérant le RNIPP comme un registre de population, ont présenté l’ensemble des individus correspondant aux enregistrements du RNIPP (89 millions nés en France) comme des bénéficiaires « potentiels » de prestations sociales. Alors que la comparaison du nombre d’enregistrements avec les statistiques démographiques de l’Insee n’a aucun sens, le fait qu’au RNIPP figurent plusieurs millions d’enregistrements d’individus nés il y a plus de 100 ans, mis en regard des 21000 centenaires dénombrés aujourd’hui, a été interprété comme une preuve flagrante de la mauvaise qualité de ce fichier, et des risques de fraude que cela entraine… C’est ignorer que le seul maintien d’un NIR, même pour une personne dont le décès à l’étranger n’aurait pas été déclaré, ne peut pas donner lieu à versement de prestation.

Cependant ce rapport a bénéficié d’une large couverture médiatique.

Cela a conduit l’Insee à publier le 5 septembre un communiqué de presse conjoint avec la Direction de la Sécurité́ Sociale (DSS) et les Caisses nationales d’assurance maladie et de vieillesse (CNAM/CNAV) pour rappeler que
• la gestion du RNIPP suit scrupuleusement les textes règlementaires qui l’encadrent,
• son contenu est conforme à sa finalité : certifier l’état civil,
• et surtout il n’emporte aucun droit ni ne détermine le versement d’aucune prestation.

On peut souhaiter que le rapport final soit plus prudent dans ses interprétations des données issues du RNIPP.


Nouvelles du recensement de la population aux USA

Le n° 10 de La Statistique dans la Cité avait fait état de la polémique créée par l’initiative du Secrétaire américain au commerce(3), Wilbur Ross, qui avait décidé, au printemps 2018, d’introduire, pour la première fois depuis 1950, une question sur la citoyenneté dans le questionnaire « léger » : toutes les personnes recensées auraient donc dû déclarer si elles avaient ou non la citoyenneté américaine(4). Beaucoup de voix s’étaient élevées pour contester l’opportunité de ce changement, en lui attribuant des arrière-pensées politiciennes. L’argument principal des opposants, au nombre desquels on trouve plusieurs anciens directeurs du Bureau of the Census et l’American Statistical Association, était le suivant : l’inclusion de cette question va provoquer une augmentation du taux de non-réponse au recensement parmi ceux qui ne sont pas citoyens américains. Par ailleurs, le Secrétaire au Commerce expliquait sa décision par une demande du Secrétaire à la Justice, qui souhaitait que des comptages précis de la population en droit de voter soient disponibles jusqu’à l’échelon géographique le plus fin – le « pâté de maisons » -, ce que ne permettent pas les enquêtes par sondage comme l’American Community Survey.

Suite à de nombreuses poursuites intentées par des dizaines d'États, de villes et d'autres groupes et à la décision de deux juges fédéraux de bloquer les plans de l'administration Trump sur cette question, l’affaire a été portée au niveau de la Cour Suprême, la plus haute juridiction fédérale. Début juillet 2019, la Cour Suprême a donné tort à l’administration qui a donc dû abandonner son projet. Le président Trump a aussitôt écrit sur Twitter mardi soir qu'il était très triste pour l'Amérique que la Cour suprême des États-Unis ait refusé de poser la question et qu'il chercherait à retarder le recensement afin de donner aux fonctionnaires de son administration le temps de proposer une meilleure explication de la raison pour laquelle il devrait inclure une question de citoyenneté. Mais même les avocats du gouvernement ont estimé que la demande du Président Trump de retarder le recensement était juridiquement impossible et des responsables du ministère de la Justice ont déclaré en privé qu'ils avaient décidé qu'ils n'auraient d'autre choix que d'oublier cette question.

Il est intéressant de noter que la Cour Suprême n’a pas cherché à examiner le fond du dossier, mais a pris sa décision sur l’argument que les raisons évoquées par l’administration étaient « artificielles ».

(3) Le Bureau du Recensement des Etats-Unis dépend du Ministère du Commerce.
(4) Pour plus de détails, consulter le n° 10 de « La Statistique dans la cité » sur le site de la SFdS, dans les pages du groupe « Statistique et Enjeux Publics »



L’intégrité de la statistique publique brésilienne est-elle menacée ?

Le premier numéro de cette année 2019 de la revue Statistique et Société était entièrement consacré à un dossier intitulé Quantifier au Brésil. Ce numéro comporte entre autres articles un entretien avec deux sociologues brésiliens à propos des récentes décisions gouvernementales réduisant sensiblement le budget alloué au prochain recensement de la population (2020). L’éditorialiste de la revue estime, comme ces deux sociologues, qu’il s’agit d’attaques du pouvoir politique contre la statistique publique

Dans de telles circonstances, il faut se garder de jugements trop rapides. Certes, l’hiver dernier, le budget de l’Institut Brésilien de Statistique et de Géographie, l’IBGE, et en particulier celui du recensement, se sont vus amputés d’environ 25 %. L’auteur de cette brève a cherché à s’informer sur les circonstances et les conséquences de cette décision, notamment en interrogeant l’actuelle présidente de l’IBGE ainsi qu’un de ses anciens présidents, par ailleurs lui aussi sociologue internationalement reconnu et apprécié. Après ces contacts, il apparait qu'il est peut être un peu hâtif d'affirmer, comme le fait l’éditorialiste, que « nos amis statisticiens brésiliens subissent des attaques du pouvoir politique ».

En fait, ce sont l'ensemble des lignes budgétaires de tous les ministères qui ont été impactées et, pour autant qu’on le sache, le budget du RP n'a pas été affecté plus que la moyenne. Certes les restrictions budgétaires qu'a subies l'IBGE ne permettront pas d'obtenir du prochain recensement toutes les informations espérées. Mais, après que l'IBGE eut vu ses crédits se restreindre, les décisions techniques ont été entièrement entre les mains de ses responsables sans intervention du pouvoir exécutif ; de nombreux utilisateurs et experts (y compris non-brésiliens) ont été interrogés et le Conseil Consultatif d'Experts sur le Recensement a eu son mot à dire. Compte-tenu de la façon dont l'IBGE a pris ses décisions dans cette affaire, on ne peut pas dire qu’il y ait eu violation des Principes de la Statistique Officielle des Nations Unies ; en effet son second article stipule que « les organismes responsables de la statistique officielle doivent déterminer, en fonction de considérations purement professionnelles, notamment de principes scientifiques et de règles déontologiques, les méthodes et les procédures de collecte, de traitement, de stockage et de présentation des données statistiques ».

Dans un remarquable document de travail(5) publié six mois après l'adoption de ces Principes par la Commission de Statistique des Nations Unies en 1994, l’ancien directeur de la division statistique des Nations-Unies, William Seltzer, qui venait de prendre sa retraite, énonçait dix moyens de porter atteinte à l'intégrité des statistiques publiques ; l'un de ces moyens était des « coupures injustes dans les ressources budgétaires ». Mais il reconnaissait qu'il n'était pas toujours facile de définir la frontière entre les restrictions budgétaires décidées par un gouvernement dans un contexte économique difficile et l’utilisation du budget comme moyen de nuire à l'intégrité de la statistique publique. L’opinion de l’auteur du présent article est de ce fait beaucoup plus nuancée que celle de l’éditorialiste de Statistique et Société.

Ceci étant, il ne faut pas être naïf. Les orientations politiques de la nouvelle administration brésilienne, en particulier celles sur la politique environnementale et le limogeage récent du président de l’Institut National pour la Protection de l’Environnement (INPE), nous imposent de veiller au grain et d'être prêt à apporter notre aide à nos collègues de l'IBGE si cela devient nécessaire. Une telle veille est faite très scrupuleusement par l'American Statistical Association à travers son Committee on Scientific Freedom and Human Rights. Elle est également faite par l'International Statistical Institute à travers son Advisory Board on Ethics, ainsi que, de façon beaucoup plus modeste, par la SFdS en s'appuyant notamment sur le poste de correspondant « droits de l'homme » et sur les activités de notre groupe.

(5) Il est possible de consulter ce document sur le site de la division de statistique des Nations Unies


Lu pour vous

Un dossier sur l’utilisation des données de caisse pour produire l’indice des prix à la consommation

La revue Économie et Statistique avait consacré un dossier de son numéro d’avril 2019 à un premier dossier sur les big data et les statistiques, avec notamment une revue des tests d’utilisation de données de recherche internet, de médias sociaux ou de transactions financières pour les prévisions macroéconomiques à court terme, ou des essais d’usage des données de téléphonie mobile pour estimer la population résidente ou améliorer la mesure du tourisme. Son dernier numéro, paru le 17 septembre, s’intéresse cette fois-ci à l’utilisation des données de caisse de la grande distribution pour produire une partie de l’indice des prix à la consommation. Les quatre articles de ce numéro spécial traitent de ces questions à partir de l’expérience acquise par les instituts de statistique de la France, de la Suède et des Pays-Bas.
https://www.insee.fr/fr/statistiques/4203531


Humour (noir)

Qu’est ce qu’un bon IPC (Indice des Prix à la Consommation) en Argentine ?

Le 11 août dernier étaient organisées en Argentine des « primaires » en vue de la prochaine élection présidentielle qui aura lieu le 27 octobre. Sans entrer dans le détail d’une procédure particulièrement complexe, on peut prévoir aujourd’hui sans trop de risques la victoire du ticket Fernandez-Fernandez sur celui du président sortant Mauricio Macri. Mais on ne peut oublier que le candidat à la présidence, Alberto Fernandez, a été le premier ministre du président Nestor Kirchner, puis de Cristina Fernandez de Kirchner qui lui avait succédé en décembre 2007. Quant au colistier, il s’agit simplement de Cristina Kirchner elle-même.

On se souvient de la manipulation éhontée de l’Indice des Prix à la Consommation pendant l’administration des deux Kirchner, manipulation qui avait conduit de fil en aiguille à détruire la qualité des statistiques produites par l’institut national de statistique argentin, l’Indec et à perdre la confiance des utilisateurs. Une des premières décisions prises par le président Macri à son arrivée à la Casa Rosada en décembre 2015 avait été de rétablir la confiance dans les travaux de l’Indec en réintroduisant des concepts et des méthodes conformes aux recommandations internationales.

Pendant sa campagne, Alberto Fernandez a dénoncé le « bilan désastreux » de l’administration Macri et notamment le taux élevé d’inflation observé pendant sa mandature. Le taux de croissance de l’IPC a toujours été à deux chiffres et s’est stabilisé ces deux dernières années autour de 50 %. Il est vrai que de 2008 à 2015, le taux de croissance officiel a toujours été inférieur à 10 %, grâce évidemment aux méthodes peu orthodoxes imposées par le gouvernement et qui avaient valu à l’Argentine d’être placée « sous censure » par le FMI. Alberto Fernandez sait donc bien comment lutter efficacement contre l’inflation. Il lui suffira de casser à nouveau le thermomètre ! A moins qu’il n’ait voulu faire de l’humour !


Annonce

Vient de paraître : Le nombre et la cité : la statistique éclaire-t-elle les questions de société ?

La statistique irrigue la vie de nos sociétés : elle aide à comprendre le monde, à rationaliser et à évaluer les politiques publiques, servant ainsi la démocratie. Elle doit cependant surmonter des barrières culturelles et le risque de malentendus et d’utilisations tendancieuses. Donc, être explicite sur ses conventions, ses pratiques et ses méthodes en respectant une déontologie sans faille.
Le groupe Statistique et enjeux publics a confié à sept de ses membres la responsabilité de rédiger cet ouvrage à partir des comptes rendus des Cafés de la Statistique. Sous le nom d'auteur collectif « Pont-Neuf », il est édité par EDP-Sciences, dans la collection Le monde des données créée par la SFdS . Il s’adresse, comme nos Cafés, au citoyen non statisticien, curieux de voir comment utiliser la statistique pour comprendre les problèmes sociétaux. Il peut être commandé (version papier ou numérique) sur le site de l’éditeur.


Agenda

Les Cafés de la statistique

Le 122ème Café a eu lieu le 14 octobre sur le thème des données de santé. Stéphanie Combes du Laboratoire Santé de la Drees (ministère de la santé) était notre invitée.
Les deux derniers cafés de l’année 2019 auront lieu le mardi 12 novembre sur le thème de l’espérance de vie (France Meslé de l’Ined sera notre invitée), puis le mardi 10 décembre sur le thème des inégalités hommes/femmes dans le travail (notre invitée sera Nila Ceci-Renaud de la Dares)
La première séance de 2020 est programmée le mardi 14 janvier sur le thème la pénibilité du travail. Notre invité sera Thomas Coutrot de la Dares.

Tous nos lecteurs sont invités à proposer des thèmes qui pourraient être retenus
pour de futurs « Cafés de la statistique »
.


L’année des maths

L’Insmi (Institut National des Sciences Mathématiques et de leurs interactions) organise pendant l’année scolaire 2019 – 2020 l’année des mathématiques pour démontrer que les mathématiques sont une science vivante, en pleine explosion. Voir : https://annee.math.cnrs.fr


Responsable de l’infolettre : Marion Selz, présidente du groupe SEP
Rédacteur en chef : Jean-Louis Bodin
Secrétaire de rédaction : Jean-Pierre Le Gléau
Webmestre : Érik Zolotoukhine

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