La statistique dans la cité n° 37-38 - février 2024
Sommaire du n° 37-38


Éditorial

Méthodes :
                                     - Un répertoire statistique pour améliorer et
                                      garantir la qualité des statistiques publiques

Vie des institutions :
                                     - Une nouvelle Commission des sondages

Anniversaires :
                                     - Le Courrier des statistiques fête son cinquième anniversaire
                                     - Le dispositif de recensement de la population a vingt ans.
                                      Quel bilan en tire l’Insee ?


Humour :
                                     - Où sont passés 1,4 million de Paraguayens ?

Nous avons lu...

Nous avons écouté...

Annonce

Courrier des lecteurs
                                     - Que devient La Tour de l’Insee à Malakoff ?

Vie du groupe


Tous les numéros précédents de l'infolettre sont téléchargeables sur le site du groupe SEP


Editorial

Les lecteurs de La statistique dans la cité avaient été informés des difficultés qu’avait eues sa rédaction à publier le numéro 37 de leur infolettre bimestrielle en décembre dernier. C’est donc avec un certain retard de calendrier que nous vous présentons les vœux du groupe Statistique et enjeux publics pour cette année 2024. Mais nous ne pouvons pas ne pas penser à cette occasion à ceux de nos collègues qui vivent une situation difficile dans leur pays, en particulier au Proche-Orient et en Ukraine. Le numéro 30 de La Statistique dans la cité avait donné la parole en juin 2022 à nos collègues ukrainiens qui avaient pu ainsi faire part à leurs collègues français des problèmes quotidiens qu’ils rencontrent en raison de l’agression russe depuis maintenant deux ans. Слава Україні.

Nous voudrions malgré toutes ces difficultés vous souhaiter une bonne année 2024 pendant laquelle, il faut l’espérer, l’information statistique jouera un rôle toujours plus important dans la vie de la société globale et constituera une base indispensable pour un développement durable. Nous avons tous une grande responsabilité dans la contribution à l’émergence d’un monde où prévaudront la paix, la liberté, la prospérité, la santé, la sécurité et la justice.

Ce numéro se présente donc comme un « numéro double ». La présentation du répertoire Résil complète la réflexion présentée dans notre précédente livraison sur le NIR (Numéro d’Inscription au Répertoire national d’identification des personnes physiques) et les bases de données. On y trouvera aussi les rubriques habituelles : vie des institutions, anniversaires, notes de lecture, ou vie de notre groupe. Nous rappelons que la totalité des numéros passés de La statistique dans la cité sont accessibles dans les pages de notre groupe sur le site de la SFdS. Et comme d’habitude, nous souhaitons vivement que nos lecteurs nous fassent part de leurs réactions et de leurs commentaires sur nos activités et en particulier sur cette infolettre en nous écrivant à l’adresse sep@sfds.asso.fr.


Méthodes

Un répertoire statistique (1) pour améliorer et garantir la qualité des statistiques publiques

L’Insee a engagé un projet de Répertoire statistique d’individus et de logements (Résil) pour sécuriser, fiabiliser et faciliter les appariements, dans le respect des principes juridiques et déontologiques qui régissent la statistique publique. Le répertoire sera construit grâce à l’appariement de plusieurs sources administratives, pour assurer la meilleure prise en compte possible de la population, sans dépendre exclusivement d’une source en particulier, tout en se conformant aux principes de nécessité et de proportionnalité dans le choix des sources.

Annoncé pour 2025, Résil répond à plusieurs finalités exclusivement statistiques :
• offrir au service statistique public un service d’appariement de données de qualité, homogène et sécurisé ;
• construire la base de sondage dans laquelle tirer des échantillons d’enquêtes auprès des ménages, avec une couverture mieux assurée ;
• fournir l’information permettant de préparer et réaliser les enquêtes annuelles de recensement (en remplacement de la taxe d’habitation) et d’en extrapoler les résultats ;
• produire des indicateurs démographiques plus précoces.

Résil sera constitué de deux répertoires statistiques exhaustifs. Le premier répertoriera les individus résidant sur le territoire national et l’autre les logements. Tous deux seront mis à jour en continu à partir de l’enregistrement des naissances et des décès et de différentes sources administratives permettant de vérifier que les personnes répertoriées sont bien toujours résidentes sur le territoire.

L’Insee a présenté son projet Résil pour la première fois lors de la rencontre du Conseil national de l’information statistique (Cnis) sur les appariements, le 28 janvier 2022. Les débats ont montré que la concertation devait se poursuivre, notamment sur les enjeux de protection des libertés fondamentales que soulèvent ces traitements de données personnelles.

Un groupe de concertation placé sous l’égide du Cnis a donc réuni en 2022 des experts de diverses origines (protection des libertés fondamentales, protection des données personnelles sur les plans juridique et informatique, transformation numérique, éthique, recherche en sciences sociales, etc.) choisis pour la plupart en dehors des interlocuteurs habituels de la statistique publique. Présidé par Jean-Marie Delarue (2), ce groupe a dressé la liste des interrogations suscitées par le projet et discuté les réponses apportées par la maîtrise d’ouvrage (Insee). Il a mené des auditions auprès de juristes, d’associations ou de « think tanks », de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, d’utilisateurs des données d’Eurostat, du responsable des réflexions éthiques dans un institut statistique étranger, afin de multiplier les angles de vue, et de poser toutes les questions relatives aux finalités, aux cadres juridique, déontologique et technique, ainsi qu’aux risques qu’un tel projet peut faire courir. Le groupe a examiné la liste des sources qui pourront alimenter le Résil (RNIPP, sources fiscales et sociales…) en se référant systématiquement aux principes de nécessité et de proportionnalité. Il a enfin recommandé des modalités de concertation et de communication pour les différentes étapes du projet jusqu’en 2025 et au-delà lorsque Résil sera pleinement opérationnel.

Si le groupe de concertation a été « très attentif au risque accru que fait porter sur la vie privée la multiplication d’appariements », il considère dans son rapport que le projet Résil est légitime et proportionné à ses finalités statistiques. Il accorde sa confiance à l’Insee sur les plans technique et déontologique pour respecter les bonnes pratiques en matière de répertoire et d’appariement et « prévenir tout mésusage de l’instrument en écartant toute possibilité que soient détournées ou dérobées des données ».

Il recommande enfin de confier au Cnis la mission explicite de donner un avis d’opportunité sur les appariements réalisés par la statistique publique, en prenant en compte les dimensions éthiques et celles liées aux droits et libertés des personnes.

Résil a été mis en place par le décret n° 2024-12 du 5 janvier 2024 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « répertoire statistique des individus et des logements ».

(1) Le rédacteur de cet article s’est appuyé sur un article publié en avril 2023 dans le n° 32 des Chroniques du Cnis.
(2) Jean-Marie Delarue est conseiller d’Etat honoraire. Il a été président du Cnis ainsi que, entre autres fonctions, contrôleur général des lieux de privation de liberté et président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.


Vie des institutions

Une nouvelle Commission des sondages

La Commission des sondages est chargée d'étudier et de proposer des règles tendant à assurer dans le domaine de la prévision électorale l'objectivité et la qualité des sondages publiés ou diffusés. Elle vérifie que les sondages électoraux sont réalisés dans le respect des règles de l’art.

Ses membres sont nommés pour un mandat de six ans non renouvelable. Le mandat des membres de la précédente Commission s’est achevé le 20 avril 2023. Il a fallu attendre le 28 décembre 2023 pour que soit publiée au Journal Officiel la liste des membres de la nouvelle Commission.

La Commission est composée de deux membres du Conseil d’État, deux membres de la Cour de cassation, deux membres de la Cour des comptes et trois personnalités qualifiées en matière de sondages désignées par le président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale.

Parmi les nouveaux membres, on note Jean Gaeremynck, président de section honoraire au Conseil d’État, qui fut notamment président du Comité du secret statistique et membre de l’Autorité de la statistique publique, Marc Christine, inspecteur général de l’Insee honoraire et Philippe Tassi, ancien directeur général adjoint de Médiamétrie et qui a été un membre actif du groupe Statistique et enjeux publics.


Anniversaires

Le Courrier des statistiques fête son cinquième anniversaire

Le numéro 10 du Courrier des statistiques est paru le 11 décembre 2023. Son premier numéro avait été publié le 6 décembre 2018.

Cette revue semestrielle a pour ambition d’aborder l’ensemble des grandes problématiques de la statistique publique. Son approche se veut pédagogique, ouverte à la variété des sujets, des auteurs, des points de vue. Elle s’adresse donc principalement au citoyen et pas seulement au statisticien, qu’il soit débutant ou expert.

Son numéro 10 aborde les thèmes suivants : datavisualisation, ouverture des données au ministère des armées, quantification de la pratique sportive, répertoire des établissements de santé, répertoire des établissements du système éducatif, sondages empiriques.

La Statistique dans la cité s’efforce d’annoncer régulièrement la sortie des nouveaux numéros du Courrier des statistiques.

Le dispositif de recensement de la population a vingt ans. Quel bilan en tire l’Insee ?

En 2024, les opérations de recensement se sont déroulées du 18 janvier au 24 février. Cela fait vingt ans qu’une méthode de collecte annuelle a été adoptée ; elle reste une exception en Europe, la France étant plutôt entourée de pays qui passent progressivement de recensements traditionnels à des recensements mobilisant de plus en plus des données administratives. Cet anniversaire a été, pour l’Insee l’occasion de dresser un bilan de ce dispositif annuel dans un blog publié le 16 janvier.

En 2004, alors que les recensements généraux de la population étaient de plus en plus espacés dans le temps, le dispositif est devenu annuel, afin de fournir chaque année des informations sur la population et les logements au niveau de chaque territoire. La méthode adoptée il y a vingt ans est fondée sur des enquêtes annuelles de recensement tournantes qui couvrent l’ensemble du territoire sur un cycle de cinq ans et sont réalisées par les communes sous le contrôle de l’Insee. Elle combine recensement traditionnel (collecte directe par questionnaire auprès des habitants), méthodologie statistique (sondages) et mobilisation de données administratives. Ce dispositif permet de lisser la charge de la collecte et d’améliorer la qualité en pérennisant les compétences des différents acteurs.

L’Insee considère que le bilan tiré est positif : des résultats robustes ont été produits chaque année, dans l’ensemble peu contestés et le recrutement des personnels nécessaires à la collecte a pu être lissé. Par ailleurs, les coûts ont été réduits au fil du temps grâce notamment à la dématérialisation et le contenu du questionnaire s’est régulièrement adapté aux évolutions de la société.

Cependant le décalage de trois ans dans la publication des résultats (bien que réduit en moyenne par rapport à celui des recensements généraux réalisés auparavant tous les huit à dix ans) est jugé préjudiciable par les élus des territoires en croissance démographique où les transformations locales de l’habitat restent rapides. Ainsi, publiés fin 2023, les chiffres de population au 1er janvier 2021 servent de référence pour l’année 2024. Ce décalage est dû au choix de publier en fin de cycle quinquennal les populations avec comme date de référence le milieu de cycle, dans un souci de qualité (limiter l’écart temporel entre une enquête de recensement et la date de référence des résultats publiés) et d’égalité de traitement entre les communes.

Face aux demandes de quelques communes sur l’estimation de leur population légale, la Cnerp (Commission nationale d’évaluation du recensement de la population (3)), a proposé de travailler sur des pistes possibles pour réduire le décalage entre la date de référence des populations et celle de leur entrée en vigueur ; des travaux exploratoires sont en cours à cet effet.

(3) La Cnerp, qui est une des huit commissions du Conseil national de l’information statistique (Cnis), est chargée de l’évaluation des modalités de collecte des informations recueillies à l’occasion du recensement de la population.


Humour

Où sont passés 1,4 million de Paraguayens ?

Le premier recensement de la population au Paraguay depuis une décennie a été organisé en novembre dernier. Et lorsque l’Institut national de statistique (INE) a publié des données préliminaires le 31 août, il en a tiré une conclusion surprenante. Fait inhabituel pour une économie émergente à croissance rapide, la population semble avoir considérablement diminué depuis le précédent recensement, effectué en 2012, pour lequel 6,5 millions de personnes avaient été recensées. Or, d’après les plus récentes projections de population publiées par l’INE, les démographes paraguayens s’attendaient à trouver près de 7,5 millions d’habitants. Au lieu de cela, le recensement de novembre donne un chiffre d’à peine 6,1 millions.

En fait, ce résultat ne semble pas invraisemblable pour les démographes de l’INE. Près d'un demi-million de leurs compatriotes ont émigré depuis le début du millénaire, parmi lesquels de nombreuses jeunes femmes occupant des emplois d'infirmières et de nounous en Espagne et en Argentine. Alors que les familles paraguayennes comptaient autrefois en moyenne 3,5 enfants, ce chiffre a fortement chuté au cours des vingt dernières années, pour atteindre 2,3. L’espérance de vie a certes augmenté, mais la pandémie de la Covid-19 l’a maintenue au-dessous du chiffre des années 70.

En fait, le recensement de 2012 avait été, selon ses responsables, bâclé car il avait été effectué dans une période d’importants troubles politiques. Les projections de population publiées avant le recensement de 2023 s’appuyaient donc sur les chiffres du recensement de 2002 et sur les indicateurs de croissance naturelle et de migrations de cette époque. Il était donc à prévoir que l’écart avec les résultats du recensement serait important, mais ni les statisticiens, ni les démographes, ni les media ne s’attendaient à une telle différence.

Une mésaventure un peu analogue était arrivée à l’Insee en 1968.

En s’appuyant sur les projections de population, les démographes de l’Insee avaient annoncé que le cinquante millionième habitant de la France naîtrait le 25 septembre 1967. Le sort avait désigné une petite fille, Sybille Lemoine, née ce jour-là, dans un petit hameau de Normandie à 15 kilomètres du Havre, Séqueville, dans la commune de Saint-Vigor-d'Imonville (Seine-Maritime). Ses parents l’avaient présentée au Salon de l’Enfance en présence de Jean Ripert, directeur général de l'Insee. Le Professeur Robert Debré, membre de l'Académie de Médecine et du Haut Comité Consultatif de la Population et de la Famille avait été interviewé sur les antennes de l’ORTF à cette occasion.

Las ! la population recensée au recensement général de la population exécuté en mars 1968, neuf mois plus tard, s’était établie à 49 800 000 habitants, le solde migratoire entre 1962, année du précédent recensement, et 1967 ayant été surestimé. Il faut dire que le recensement de 1962 avait été effectué en mars, trois mois avant le pic des rapatriements de Français d’Algérie qui avait sans doute compliqué la tâche des prévisionnistes.


Nous avons lu

The Economist se demande si nous ne sommes pas entrés dans l’ère du « consommateur ermite » ?

La pandémie de Covid 19 a-t-elle été un simple incident de parcours pour l’économie mondiale ou laissera-t-elle des traces plus profondes dans nos sociétés ? Les données macro-économiques semblent aller dans le sens de l’incident de parcours : la plupart des pays ont actuellement un niveau de PIB supérieur à celui de 2019, le chômage est au plus bas parmi les pays de l’OCDE et Wall Street ou le CAC 40 vont de record en record. Dans un article du 22 octobre 2023, The Economist rassemble un certain nombre de statistiques qui montreraient que la pandémie a engendré au contraire d’importants changements dans les modes de consommation.

D’après l’hebdomadaire, nous serions rentrés dans l’ère du « consommateur ermite » : celui-ci dépenserait plus pour des activités qui lui permettent de rester chez lui, à l’écart des autres. La part des services dans la consommation des pays de l’OCDE, qui augmentait régulièrement avant la pandémie, a décroché durant les confinements et n’a toujours pas retrouvé son niveau de 2019 : les consommateurs dépensent moins pour toutes les activités de loisir qui nécessitent de sortir de chez soi. Aux États-Unis, là où une chaîne de restaurant à la mode comme Olive Garden est à 80 % de son activité d’avant la pandémie, Home Depot, le n° 1 mondial de la distribution de détail de produits de rénovation résidentielle, est à 15 % au-dessus en volume. Les actions des sociétés européennes qui permettent au consommateur de rester chez lui (les sites de e-commerce, par exemple) ont eu, depuis l’automne 2019 un bien meilleur parcours que celles des sociétés qui lui permettent d’en sortir (les compagnies aériennes par exemple).

Les raisons invoquées par The Economist pour ces changements de comportement sont multiples : peur persistante de la contamination (par exemple, en Grande-Bretagne, l’utilisation des transports en commun a beaucoup plus baissé que celle des voitures individuelles) ; essor du télétravail ; mais aussi développement de valeurs plus individualistes. On dort plus longtemps (+11 minutes pour les américains depuis 2019), on dépense plus sur les animaux domestiques et moins sur les activités sociales.

Tout ceci demanderait bien sûr à être validé par des statistiques officielles exhaustives. Espérons que, lors d’un prochain Portrait social, l’Insee apportera son éclairage sur l’impact durable de la pandémie sur nos modes de vie.


Les économies occidentales vont-elles vraiment vers une moindre dépendance envers la Chine ?

La politique d’atténuation des risques promue par l’Union européenne et les États-Unis pour rendre leurs économies moins dépendantes de la Chine, porte-t-elle ses fruits ? Une étude de la Banque des Règlements Internationaux, dont fait état l’hebdomadaire The Economist dans son édition du 14 novembre 2023, semble indiquer le contraire.

Les économies occidentales, avec cette politique de découplage, souhaitaient faire d’une pierre deux coups : simplifier les chaînes d’approvisionnement en rapprochant les marchés occidentaux de leurs fournisseurs et moins dépendre des produits chinois.

L’étude montre qu’aucun de ces deux objectifs ne semble atteint. Les chaînes d’approvisionnement se sont rallongées entre 2021 et 2023. Pour tous les continents, il y a maintenant plus d’intermédiaires entre un pays consommateur et ses pays fournisseurs qu’il y a deux ans. La baisse du commerce direct entre les États-Unis et la Chine est compensée par la hausse du commerce entre les États-Unis et le reste de l’Asie, dont le commerce avec la Chine a augmenté. Et, loin de la diversification attendue, le nombre global de fournisseurs a légèrement diminué. L’indépendance de nos économies vis-à-vis de celle de la Chine, qu’elle soit ou non désirable, ne sera pas facile à mettre en œuvre.


Nous avons écouté...

« Le cours de l’histoire », émission quotidienne sur France culture, a consacré quatre épisodes début janvier 2024 au thème « État et économie, une histoire de pouvoir ». Au cours de la dernière séance, diffusée le vendredi 11 janvier, « Compter pour gouverner, une histoire de chiffres et de stats », ont été soulevées les questions suivantes : Que disent les chiffres du fonctionnement des sociétés qui les produisent et les utilisent ? Quelle influence ont-ils sur les pratiques économiques, sociales et politiques ? En quoi l’étude des chiffres éclaire-t-elle les rapports entre public et privé, État et entreprise, depuis l'Ancien Régime ?
Les intervenantes étaient Béatrice Touchelay (4) et Anne Conchon (5), qui ont codirigé avec Fabien Cardoni et Michel Margairaz l'ouvrage Chiffres privés, chiffres publics XVIIe-XXIe siècle. Entre hybridations et conflits, Presses universitaires de Rennes, 2022.
Dès l'Ancien Régime, l’État exerçait une emprise sur les comptes privés, à travers l'ordonnance de commerce de 1673, qui obligeait les marchands à tenir une comptabilité et instaurait un contrôle public des données chiffrées. L’essor du calcul et de l’économie politique a participé à l’avènement d’une approche scientifique de l’économie, notamment à travers l’arithmétique politique, dont l’objet était de mesurer la richesse des États. Pour l’État, il devenait essentiel de produire et d’utiliser des chiffres et des statistiques, afin de légitimer sa position et son pouvoir. Mais l’ambition statistique de l’État se heurtait aux réticences, voire à la méfiance, des acteurs privés, qui craignaient la publication de leurs données, et pouvaient parfois refuser de coopérer. Les statistiques publiques sont cependant tributaires des chiffres privés.

À la période contemporaine, les statistiques publiques deviennent peu à peu hégémoniques avec la création de la Statistique générale de la France (SGF) en 1833, puis du Service national des statistiques (SNS) en 1941, sous le régime de Vichy, et enfin de l’Insee en 1946, chargé notamment de diffuser les informations.

La seconde moitié du 20e siècle voit néanmoins le renforcement du pouvoir des chiffres privés, à travers la mondialisation et la généralisation du numérique, ce qui va de pair avec des contestations multiples des chiffres publics.

(4) Professeur d'histoire contemporaine à l'université de Lille, chercheuse à l'Institut de recherches historiques du Septentrion. Elle a participé à la mission d’analyse historique sur le système statistique français de 1940 à 1945 et aux activités du groupe Socio-histoire de la statistique et des probabilités.
(5) Professeur d’histoire moderne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheuse à l'IDHES.


Annonce

Le Groupe Socio-histoire de la statistique et des probabilités de la SFdS vient de lancer un appel à contributions pour la 5e édition du Prix Alain Desrosières
.

Ce groupe a lancé ce Prix en 2016 pour maintenir vivante la mémoire d’Alain Desrosières (1940 – 2013), initiateur d’une nouvelle approche sociologique de la statistique et de la quantification et avait développé pour cela un important réseau de chercheurs en sciences humaines et sociales. Le Prix vise à distinguer un travail inédit (mémoire ou rapport), un ouvrage publié, un article conséquent, écrit en français, réalisé récemment (après le 31 mars 2022) qui place la statistique, ou plus largement la quantification, au cœur de l’analyse sociologique. Il récompensera en priorité un jeune auteur ou chercheur. La date de clôture des candidatures est le 31 mars 2024.

Pour sa cinquième édition, ce Prix d’un montant de 1 000 euros sera remis lors du colloque « Recent trends in the social studies of quantification » qui se déroulera à Paris du 19 au 21 juin 2024. Les personnes souhaitant candidater peuvent s’informer sur ses modalités d’attribution à l’adresse prixalaindesrosieres@gmail.com.


Courrier des lecteurs

Que devient La Tour de l’Insee à Malakoff ?

Un lecteur de La statistique dans la cité nous a envoyé deux photos de l’immeuble qu’a occupé l’Insee à Malakoff pendant presqu’un demi-siècle. La première de ces deux photos date d’août 2021, la deuxième d’il y a quelques jours. Toute une page de l’histoire de la statistique française en cours de démolition, diront certains avec nostalgie !




Vie du groupe

Depuis la parution du précédent numéro de La statistique dans la cité, trois Cafés de la statistique ont été organisés :
  • le mardi 21 novembre avec Julien Pouget, chef du département de la conjoncture à l’Insee sur l’inflation, son ressenti et ses mécanismes ;
  • le mardi 5 décembre avec Sylvain Moreau, directeur des statistiques d’entreprises à l’Insee, sur la réindustrialisation de la France ;
  • le mardi 13 février avec Christine Gonzalez-Demichel, cheffe du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) sur la mesure de la délinquance et de ses sources disponibles.
Le programme des prochains Cafés est en cours de préparation.

Un café sera organisé à Bordeaux le mardi 28 mai pendant les 55e Journées de Statistique de la SFdS sur le thème des sondages électoraux avec Bruno Jeanbart, vice-président d’Opinion Way, douze jours avant les élections européennes.

Responsable de l’infolettre : Antoine Moreau, président du groupe SEP
Rédacteur en chef : Jean-Louis Bodin
Secrétaire de rédaction : Jean-Pierre Le Gléau
Webmestre : Érik Zolotoukhine

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