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Ce mois-ci, il est question de la compatibilité de l'effort de défense de la France et des pays occidentaux avec une économie de guerre.
Très bonne lecture !
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MédiaStat n° 4 (mai 2025)
La France est-elle prête pour l’économie de guerre ?
La guerre menée par la Russie en Ukraine amène les pays européens à adapter leur politique de défense et à mener une politique de réarmement. En France, le président de la République a utilisé en juin 2022, au salon Eurosatory, le terme d'économie de guerre pour caractériser la période qui s'ouvrait. Le 4 mars 2025, la Commission européenne dévoilait son plan « ReArm Europe », qui doit permettre aux Vingt-Sept de dépenser quelque 800 milliards d’euros supplémentaires pour leurs armées jusqu’en 2030.
Le Café de la Statistique du 8 avril a débattu de la notion d’économie de guerre. La France est-elle, à l’heure actuelle, en économie de guerre ? Julien Malizard, titulaire de la Chaire Economie de défense à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, a replacé le débat dans sa perspective historique. L’exemple des deux guerres mondiales montre que l’économie de guerre implique une suspension des marchés et un contrôle étatique de l’économie, ce qui n’est pas le cas actuellement. Durant ces deux périodes, le PIB mondial s’est effondré (-31 % entre 1914 et 1918, -49 % entre 1939 et 1945), la population a baissé, l’inflation s’est envolée. L’effort de guerre (ratio des dépenses de défense sur le PIB) est monté à plus de 30 % pour les principales nations impliquées.
Nous sommes loin de cette situation. L’effort de guerre de la France, à tout juste 2 %, reste sensiblement inférieur à ce qu’il était à la fin de la guerre froide. Un seul pays, l’Ukraine, est véritablement dans une économie de guerre : son effort de défense est à 36,7 %, alors que celui du pays agresseur, la Russie, n’est qu’à 5,9 %. Peut-être faut-il s’interroger, dans ce dernier cas, sur la crédibilité des statistiques… La France n’est qu’au 51e rang.
L’économie de guerre, c’est aussi une cadence de production d’armement bien supérieure à celle observée en France en ce moment. Durant la Seconde Guerre mondiale, les alliés ont produit 370 000 avions de combat. Un peu plus de 200 par jour. La France produisait 2 Rafales par mois en 2024 et prévoit de passer à 3 en 2025. On observe bien sûr une montée en puissance : 8 canons Caesar seront produits mensuellement cette année, contre 2 au début de la guerre en Ukraine. Mais cela reste bien en-dessous des cadences d’une véritable économie de guerre.
Le réarmement global est cependant visible dans les chiffres : si l’effort de guerre global est au plus bas depuis 60 ans, les dépenses militaires globales sont, en niveau, au plus haut. Elles restent cependant fragmentées, avec un pays dominant : les Etats-Unis. Avec 968 milliards de dollars de dépenses militaires, ils sont loin devant la Chine (235) et la Russie (146). Même la prise en compte d’une parité de pouvoir d’achat militaire ne mettrait ces deux pays « qu’à » 477 et 462, respectivement. La France est au 8e rang, avec 64 milliards de dollars.
Le passage à une économie de guerre souhaité par le président de la République nécessitera d’aller au-delà de l’armée « bonzaï » actuelle. Au prix de quels arbitrages avec les autres dépenses de l’Etat ? C’est probablement l’une des questions politiques les plus pressantes des mois à venir.
Bureau du GS Statistique et Enjeux Publics de la SFdS |