La statistique dans la cité n° 45 - juin 2025
Sommaire du n° 45


Éditorial

Méthodes :
                                     - Comment procède l’Insee pour protéger les données collectées
                                      de toute utilisation illégitime ?
                                     - Le financement de la santé : quelle tarification ?
                                     - Un index du surtourisme

Vie des institutions :
                                     - Nomination du directeur général de l’Insee
                                     - Une nouvelle version du Manuel sur la gestion
                                      et l’organisation des organismes statistiques
                                     - Le CASD a obtenu la certification de conformité au RGPD
                                     - Comment préserver les données fédérales aux États-Unis ?

Humour

Nous avons lu ...

Annonce

Vie du groupe


Tous les numéros précédents de l'infolettre sont téléchargeables sur le site du groupe SEP


Editorial

La statistique dans la cité va prendre ses quartiers d’été et retrouvera ses lecteurs en octobre avec son numéro 46.

Au moment où cet éditorial est rédigé, nous ne pouvons que constater que la statistique n’est pas épargnée par l’incertitude géopolitique mondiale et ses conséquences néfastes sur la production et la diffusion de savoirs. La crise n’est certes pas nouvelle, mais elle s’est considérablement aggravée depuis l’installation en janvier d’une nouvelle administration à la Maison Blanche. La vitesse, le type et le nombre d’attaques contre les universités et les centres de recherche américains, ainsi que les réductions ou suppressions de crédits et de postes qu’ils subissent, sont sans précédent. Du fait du poids des États-Unis dans la recherche au niveau mondial, les conséquences pourraient être très importantes pour l’ensemble des pays de la planète et, en particulier en France qui traverse une période d’incertitudes quant au fonctionnement de ses institutions. Dans ce contexte, il n’est certainement pas inutile de rappeler la mission assignée à notre Groupe qui est de tenter d’enrichir le débat public en montrant comment la statistique peut éclairer les problèmes de société et de favoriser les échanges entre statisticiens professionnels soucieux de défendre la place de la statistique dans la société et ses valeurs : fiabilité, qualité, indépendance, service de l’intérêt général, service public, utilité, confidentialité des informations individuelles. Notre Groupe continuera en toutes circonstances à veiller au respect de ces valeurs et de ces principes, notamment en poursuivant l’organisation des Cafés de la statistique qui vont entrer dans leur vingtième-et-unième saison (1) et la rédaction de la lettre bimestrielle La statistique dans la cité.

Le précédent numéro de La statistique dans la cité faisait état de la création par de très nombreuses associations ou sociétés savantes - parmi lesquelles, bien entendu, notre Société Française de Statistique (SFdS) - du collectif Stand Up for Science France. Ce collectif a pour but principal de manifester notre solidarité envers nos collègues américains en soutenant les actions du mouvement Stand Up for Science créé il y quelques mois aux États-Unis. Il a aussi pour objectif de dénoncer les attaques en France contre les sciences et les libertés académiques, l’accès aux savoirs, leur diffusion et leur indépendance en contribuant ainsi à la défense de la démocratie. Un article de ce numéro est précisément consacré à la sauvegarde des données aux États-Unis dans le contexte actuel. Une note de lecture d’un article publié le 24 avril dernier dans The Economist tire aussi la sonnette d’alarme.

Nous rappelons que la totalité des numéros passés de La statistique dans la cité sont accessibles en cliquant ici. Et comme d’habitude, nous souhaitons que nos lecteurs nous fassent part de leurs réactions et de leurs commentaires sur nos activités et en particulier sur cette infolettre en nous écrivant à l’adresse sep@sfds.asso.fr.

(1) On trouvera à la fin de ce numéro, dans la rubrique Vie du groupe, l’annonce des trois Cafés « de rentrée » qui se tiendront les mardis 14 octobre, 18 novembre et 9 décembre prochains au Café du Pont-Neuf.


Méthodes

Comment procède l’Insee pour protéger les données collectées de toute utilisation illégitime ?

Dans un article de son blog daté du 23 avril, l’Insee rappelle que la protection des données se fait dans le cadre de la loi 51-711 du 7 juin 1951 modifiée sur l’obligation, la coordination et le secret en matière statistique, de la loi 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’Informatique, aux fichiers et aux libertés de 1978 et du RGPD (Règlement général sur la protection des données).

Afin de se prémunir contre tout risque de fuite ou violation de données, l'Insee assure une protection renforcée des données : flux sécurisés, coffres-forts de données, gestion stricte des droits d’accès, etc. Les traitements de données respectent le principe de minimisation. Enfin, les données sont segmentées, organisées sous forme de fichiers séparés, conservés dans des coffres-forts distincts. De plus chaque agent de l’Insee signe dès sa prise de poste un engagement à respecter ses obligations en la matière.

Pour les données à caractère personnel, l'Insee s'attache à rompre le lien entre les données et l’identité des personnes. Pour cela, les procédures de pseudonymisation, puis d’anonymisation rendent impossible de reconnaître une personne à partir des seules données présentes dans le fichier en utilisant des moyens raisonnables. Les données agrégées, souvent utilisées comme « briques » pour constituer une statistique sur un champ défini par l’utilisateur, doivent être les plus fines possibles, tout en restant compatibles avec les obligations du secret statistique. La diffusion de ces données agrégées est soumise à des règles relatives à la taille minimale des croisements réalisés. Ceci rend très difficile la diffusion d’informations finement localisées, à la commune, au quartier ou au "carreau" mais conduit à diffuser tableaux ou cartes incomplets.

La deuxième approche, pratiquée actuellement par exemple pour la diffusion de données portant sur les niveaux de vie, consiste à affecter des données imputées. L’Insee commence à mettre en œuvre la méthode des clés aléatoires, décrite dans un billet de blog du 30 janvier 2025.

Quand les données agrégées se révèlent insuffisantes, il est possible pour certaines analyses, de mettre à disposition des utilisateurs externes un fichier anonymisé qui contient une information réduite. Aussi dans certains cas prévus par le législateur, l’accès à un fichier de données individuelles peut être autorisé après avis du Comité du secret statistique. Cela s'organise dans des conditions qui garantissent la plus complète confidentialité des données, par exemple dans un centre d'accès sécurisé (2).

(2) Les lecteurs qui souhaiteraient en savoir plus sur l’organisation et les méthodes du secret statistique pourront consulter l’ouvrage « Le secret statistique » publié dans la Collection « Le monde des données » qui s’adresse à un public très large et témoigne de la volonté de la Société Française de Statistique de s’ouvrir largement vers la société civile.


Le financement de la santé : quelle tarification ?

Nicolas Revel, aujourd’hui directeur général de l’Assistance publique - hôpitaux de Paris, vient de produire pour Terra Nova une note importante intitulée « La santé des Français : sortir de l’impasse ». Le point de départ de sa note est une tautologie de comptabilité nationale : les dépenses de l’assurance maladie publique résultent des volumes de soins multipliés par leurs tarifs respectifs et de la part de ladite assurance maladie dans ce total ; il propose ensuite une série de réformes notamment sur les déserts médicaux, les dépenses inutiles ou excessives, les indicateurs de qualité et l’augmentation nécessaire des rémunérations et des moyens à allouer aux professionnels ; le point d’arrivée est le projet de création et de financement d’un immense secteur ambulatoire (hospitalier) pour une prise en charge efficace des maladies chroniques, fondée sur les données et l’intelligence artificielle (« a-t-on fait ce qu’il faut ? ») et sur la coordination des soins entre les différents acteurs de la ville et de l’hôpital.

Le financement de l’hôpital ne peut se limiter pour Nicolas Revel à celui des épisodes d’hospitalisation comme cela reste essentiellement le cas avec la tarification à l’activité (T2A), souvent présentée abusivement comme la source de tous les maux de l’hôpital public.
Convaincant ou stimulant, ce programme pose cependant une fois de plus la question de la définition et de la mesure des volumes de soins.

La T2A, appartient à une famille de systèmes de paiement aux hôpitaux reposant sur les groupes homogènes de malades ou groupes homogènes de séjours hospitaliers. Il ne s’agit pas d’un paiement à l’acte mais d’un paiement au cas (3) :
  • dans le paiement à l’acte on paie pour chaque acte dont le patient a bénéficié au cours du séjour (par exemple chaque examen de biologie et d’imagerie, chaque acte de chirurgie, chaque consultation, chaque journée d’hospitalisation etc.) ;
  • le paiement par cas est un paiement forfaitaire par type de séjour hospitalier, pour l’ensemble des soins prodigués au cours de ce séjour. Dans ce système, la multiplication des actes (ou l’allongement du séjour) ne change rien à la somme perçue par l’hôpital.
Ce paiement au cas issu des travaux de Robert Fetter (4) à l’université de Yale au début des années 1980 exige un recueil de données (codées) dans des résumés de sortie : ce sont essentiellement les diagnostics, les actes chirurgicaux et l’âge. Un algorithme classe ensuite ces résumés par groupes tarifaires. Il existe une abondante littérature scientifique sur ces systèmes qui se sont imposés largement dans la plupart des pays de l’OCDE.

En France à partir de 2004, le système opaque de dotation globale négociée a été remplacé progressivement par la T2A, conçue d’abord pour allouer le financement de manière plus équitable entre les hôpitaux les plus actifs et ceux dont l’activité était plus faible. À cet égard, la T2A est essentiellement un outil de répartition des dotations de l’assurance maladie entre hôpitaux : elle n’est pas responsable de l’insuffisance des crédits publics aux hôpitaux dans l’Objectif national des dépenses de l’assurance maladie (l’Ondam) voté par le Parlement.

La T2A incite à réaliser des économies notamment sur les examens inutiles et la durée des séjours, ce qui a amené certains critiques à lui reprocher d’inciter à la productivité voire à la « rentabilité ». D’autres ont soutenu sans preuve qu’elle incitait les médecins à réaliser des actes inutiles (ce qui ne concernerait que les actes chirurgicaux, les autres actes étant sans effet sur le tarif).

En vérité, la T2A ne s’est appliquée qu’aux hospitalisations en soins aigus (médecine, chirurgie et obstétrique) et a été « tempérée » par un grand nombre de mesures correctives relevant d’autres logiques. Elle n’a pas concerné les services d’urgences hospitalières, qui sont notoirement le secteur le plus sinistré des hôpitaux… pour des raisons qui n’ont donc rien à voir avec la T2A. Enfin la T2A à la française est devenue de plus en plus inintelligible au fil des années, ce qui n’a pas favorisé son acceptation.

L’idée d‘appliquer une tarification non plus seulement aux hospitalisations en soins aigus mais aussi à des parcours de malades chroniques entre ville et hôpital est séduisante mais se heurte au moins à deux difficultés :
  • comment définir et mesurer les activités auxquelles s’appliquerait cette « tarification au parcours de soins », sachant qu’elles incluent coordination, évaluation, soins associés à la maladie chronique et autres soins ?
  • à supposer qu’on sache le faire, comment la rémunération du parcours sera-t-elle partagée entre les organisations et les intervenants ? Peut-on confier la gestion du partage aux hôpitaux comme semble le proposer Nicolas Revel ?
(3) Pour plus d’informations on peut consulter le rapport de la Cour des comptes sur la T2A (2023).
(4) Le travail de R. Fetter sur les données de facturation d’hôpitaux américains pour identifier les facteurs « classants » de coûts au sein de séjours relevant d’une même spécialité a permis de constituer des groupes tels que la variance intragroupe y soit minimale.


Un index du surtourisme

À la demande d’un voyagiste français, le cabinet de conseil Roland Berger a conçu un Index du surtourisme. Cet index est calculé à partir de quatre critères : le nombre de touristes par habitant, la densité de touristes par km², la saisonnalité de l'activité et enfin la maturité du pays sur la question du tourisme durable. Pour ce dernier critère, l'impact sociétal de l'industrie du tourisme est pris en compte, tout comme le développement des transports. Chacun des critères s’est vu attribuer une note de 1 à 5. Puis on a calculé un indicateur synthétique sur une échelle de 1 à 5. Les deux premiers critères s’appuient sur les données publiées par l’Organisation mondiale du tourisme et par l’OCDE. Les deux autres critères sont plus subjectifs.

Un index a été calculé pour 70 destinations (des pays, des régions, voire des villes) choisies parmi les 100 principales en termes d’affluence. Le cabinet Roland Berger a défini trois grandes familles du surtourisme : balnéaire, estival et urbain. Dans le classement du surtourisme balnéaire, nous retrouvons en tête Chypre (4,4/5) devant Maurice (4,2), la Grèce (4), la Croatie (3,8) ; ces destinations fortement dépendantes du tourisme devraient mettre en place des mesures urgentes et contraignantes. Pour ce qui est de la surfréquentation estivale des grandes destinations européennes, l’Espagne (3,6), l’Italie (3,6) et le Portugal (3,6), puis la France (3,3) sont les pays les plus en difficulté. Quant à la dernière catégorie, celle de la surconcentration urbaine, Copenhague est en tête (3,8) suivi par Amsterdam (3,7) et Dublin (3,4). D'autres pays ne sont pas encore étouffés par l'industrie touristique, mais doivent rester vigilants, par exemple, le Maroc (3,1), le Vietnam (3), l’Egypte (2,7) ou encore l’Islande (2,9), pour éviter de « basculer du mauvais côté » ; le cabinet leur conseille d'anticiper et d’accompagner au mieux le développement de leurs infrastructures tout en engageant un travail pédagogique auprès des voyageurs avec des offres ciblées et limitées. Pour terminer, il reste encore quelques pays privilégiés comme le Canada (2,3), les États-Unis (1,7), l’Australie (1,5), ou la Tanzanie (1,8).

On peut être sceptique sur la fiabilité de tels indicateurs et on ne peut que rappeler la conclusion de l’article publié dans le précédent numéro de La statistique dans la cité à propos du rapport mondial sur le bonheur, à savoir qu’il est très difficile de remplacer des indicateurs éprouvés comme le PIB, mais qu’il convient de noter que ce type d’investigations a aussi pour intérêt de montrer les limites du PIB pour analyser correctement les évolutions économiques et sociales de notre société.


Vie des institutions

Fabrice Lenglart est nommé directeur général de l’Insee

Le Conseil des ministres tenu le 4 juin 2025 a nommé Fabrice Lenglart directeur général de l’Insee. Il succède à Jean-Luc Tavernier et prendra ses fonctions le 30 juin. Notre Groupe lui adresse toutes ses félicitations.

Fabrice Lenglart a été notre invité à deux séances des Cafés de la statistique :
  • le 8 novembre 2016 en tant que commissaire général adjoint de France Stratégie ; le thème du Café était « Le regard des Français sur leur situation et les statistiques publiques : quels enseignements ? » ;
  • le 15 février 2022 où, en tant que directeur de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), il était intervenu avec Jean-Luc Tavernier sur le service statistique public face à la pandémie de Covid-19.
Le numéro 43 de l’infolettre publié en février dernier avait fait part du communiqué du 3 février 2025 du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique qui avait lancé l’appel à candidature pour le recrutement du successeur de Jean-Luc Tavernier. Dans le cas du poste de directeur général de l’Insee, si cette nomination suit les principes applicables aux directeurs d’administration centrale, il s’y ajoute une procédure d’avis spécifique de l’Autorité de la statistique publique, portant sur les compétences de la personne retenue au regard du principe d’indépendance professionnelle énoncé par le Code de bonnes pratiques de la statistique européenne. La nomination de Fabrice Lenglart a suivi cette procédure et a donc bien respecté l’article 1.8 du Code de bonnes pratiques de la statistique européenne.


Une nouvelle version du Manuel sur la gestion et l’organisation des organismes statistiques

Cette nouvelle version du Manuel a été publiée en mai dernier par la division de statistique des Nations unies. Elle a été préparée pour en faciliter la lecture, la navigation et la mise à jour. Dans ce cadre, un nouveau chapitre sur les écosystèmes de données nationales et leur gouvernance a été introduit afin de fournir aux organismes nationaux de statistique des orientations stratégiques sur la collaboration avec les différents partenaires et sur la gouvernance des données.

Il s’agit de la quatrième édition de ce Manuel ; son principe en avait été approuvée par la 52e session du Comité de statistique des Nations unies tenue en mars 2021. C’est un document non prescriptif destiné à l’ensemble des membres du personnel des organismes statistiques, il fournit des orientations sur la manière de développer et de maintenir des capacités statistiques nationales adaptées à leurs objectifs et aborde des questions et des sujets cruciaux, notamment l'intégration des sources de données et de technologies innovantes dans la production de statistiques et d'indicateurs. Pour rester pertinent dans un écosystème de données en évolution rapide, il a été conçu comme un document vivant qui est régulièrement mis à jour et révisé sous la direction d'un groupe consultatif composé de statisticiens en chef et de statisticiens expérimentés nationaux et internationaux.


Le CASD a obtenu la certification de conformité au RGPD

Le Centre d’accès sécurisé aux données (CASD) est un groupement d’intérêt public réunissant l’Insee, le Genes (Groupe des écoles nationales d’économie et de statistique qui regroupe notamment l’Ensae et l’Ensai), le CNRS, HEC Paris, l’École Polytechnique et la Banque de France. Il propose des environnements de calculs sécurisés dédiés au traitement de données de gros volumes, utilisés principalement par des chercheurs et data scientists. Il héberge aujourd’hui près de 700 projets utilisant plus de 550 sources de données, couvrant des secteurs très variés tels que la santé, la fiscalité, l’environnement, la justice, l’éducation, le travail ou encore les réseaux sociaux.

Pour assurer une sécurité de bout en bout, le CASD a développé la SD-BOX qui permet l’accès aux environnements de travail et de datascience de l’infrastructure centrale du CASD située en France. Le CASD est devenu depuis le 16 mai 2025 le premier service d’hébergement de données en Europe à obtenir la certification officielle prévue par l’article 42 du RGPD (5) (Règlement général sur la protection des données). Cette reconnaissance officielle, remise lors du Privacy Symposium tenu à Venise du 12 au 16 mai 2025, consacre la rigueur et l’engagement du CASD en matière de sécurité et de protection des données à caractère personnel. Elle démontre que les opérations de traitement effectuées par le CASD respectent les dispositions du RGPD.

Cette certification est officiellement reconnue par les autorités de protection des données des trente États membres de l'Union européenne et de l'Espace économique européen.

(5) L’article 42 du RGPD prévoit que les autorités de contrôle des États membres et la Commission encouragent la mise en place de mécanismes de certification en matière de protection des données ainsi que de labels et de marques en la matière, aux fins de démontrer que les opérations de traitement effectuées par les responsables du traitement et les sous-traitants respectent le présent règlement.


Comment préserver les données fédérales aux États-Unis ?

Dans le contexte actuel qui prévaut aux Etats-Unis, une ONG américaine, le PRB (6) (Population Reference Bureau) a lancé un forum sur les données fédérales ; il s’agit d’une nouvelle plateforme en ligne conçue pour fédérer la communauté diversifiée des utilisateurs de données fédérales à travers le pays. Fruit d'un partenariat entre le PRB et le Massive Data Institute de l'Université de Georgetown à Washington, ce forum invite les acteurs de tous les États fédérés et de tous les secteurs à partager des données, des ressources et des informations, et à collaborer sur des questions liées au système statistique fédéral américain et aux produits de données fédéraux.

Ce forum vise à soutenir l'accès, la qualité et la disponibilité des données publiques dans un contexte de bouleversements constants au sein de l'infrastructure des données fédérales, notamment l'arrêt brutal des activités de collecte de données et la suppression des données historiques et des recherches des sites web d'agences fédérales telles que les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), l'Agence de protection de l'environnement (EPA) et le ministère de l'Éducation. Les données fédérales sont utilisées pour prendre des décisions concernant les programmes et les politiques aux niveaux national, étatique et local, et sont essentielles à la participation citoyenne au gouvernement, ainsi qu'à la transparence et à la responsabilité du gouvernement.

Avec un objectif semblable, dans une tribune publiée dans les pages Idées de l’édition datée du 5 juin du journal Le Monde, Shaida Badiee, cofondatrice d’Open Data Watch (7), et ancienne directrice du Groupe de développement des données à la Banque Mondiale, déplore que, au cours des derniers mois, des milliers de pages Web et d’ensembles de données aient été supprimés des sites Web du gouvernement américain. Une armée informelle de « sauveteurs de données » s’est mise en place pour télécharger, sauvegarder et republier des informations vitales, dont les quelque 300 000 ensembles de données du catalogue en données ouvertes du gouvernement fédéral, data.gov, et ce avant qu’elles ne soient perdues. Mais la question est de savoir comment les données futures seront produites et publiées, en particulier celles concernant le climat et la santé qui se trouvent dans le collimateur de l’administration Trump.

Shaida Badiee indique que le problème va concerner aussi beaucoup de pays à revenu faible ou intermédiaire dont la production statistique était soutenue par des programmes de l’USAID (Agence internationale pour le développement des États-Unis) qui a été démantelée le 23 février dernier ou à travers des programmes ad hoc eux aussi dans la tourmente. Elle souligne que 10 des 17 objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 des Nations-Unies s’appuient sur les informations dont la production était soutenue par l’USAID.

(6) Deux slogans proposés par le PRB : Data should serve people ou encore We believe data is powerful when it helps people live better lives. Grâce à des partenariats stratégiques entre le gouvernement, la recherche, la philanthropie et le plaidoyer, le PRB souhaite transformer l’information en impact en guidant des politiques qui améliorent la vie, éclairent les besoins cachés et font entendre les voix non entendues.
(7) Open Data Watch (ODW) est une organisation internationale à but non lucratif basée à Washington qui se consacre à transformer la manière dont les statistiques officielles sont produites, gérées et utilisées.


Humour

Les statisticiens, et en particulier les comptables nationaux, n’hésitent pas à réviser leurs prévisions.

Mais ils ne sont pas les seuls dans le monde scientifique ! D’après une prévision récemment due à des astrophysiciens néerlandais, notre système solaire pourrait s'éteindre beaucoup plus tôt que prévu (1078 années au lieu des 10110 années prévues précédemment !). Mais l’humanité n’aura pas à attendre aussi longtemps : les scientifiques prévoient en effet que la Terre deviendra inhabitable bien avant cette échéance ; dans seulement un milliard d'années, le Soleil sera trop chaud pour permettre la vie, et dans huit milliards d'années, il gonflera jusqu'à engloutir la Terre. En fait, si la fin de l'univers est révisée, celle de notre planète, elle, ne change pas.


Nous avons lu ...

The Economist a publié le 24 avril 2025 un article intitulé « Economists don’t know what’s going on. Blame crumbling statistical offices. »

L’auteur de cet article fait état d’événements récents qui brouillent le tableau économique à la disposition des économistes qui ne savent plus ce qui se passe comme l’indique son titre. Il fait notamment référence aux coupes budgétaires qui ont entraîné l’année dernière l'arrêt de la publication de certaines données des comptes nationaux et à la crainte d’une réduction massive des effectifs du Bureau of Economic Analysis (BEA) par la nouvelle administration qui entrainerait l’abandon d'autres séries. Il rappelle que, toujours aux États-Unis, le financement du Bureau of Labor Statistics (BLS) a subi une baisse de 20 % depuis 2012. Il cite aussi la découverte par l’Office for National Statistics (ONS) britannique d’erreurs dans certains chiffres qui sous-tendent ses calculs du PIB. Ou encore la suspension par l’INE espagnol de ses enquêtes sur les services, le commerce de détail et le comportement des consommateurs, ce qui rend plus difficile la production de quelques indicateurs clés.

Il s’inquiète aussi de ce que les révisions du PIB dans l'Union européenne sont bien plus importantes qu'avant la pandémie de Covid-19. Mais en 2024, les statisticiens américains ont eux aussi révisé plusieurs indicateurs, comme par exemple la croissance mensuelle de l’emploi qui a connu sa troisième révision. Les « surprises » économiques dans les pays riches, où les données publiées sont supérieures ou inférieures aux attentes des analystes, ont explosé pendant la pandémie ; mais des années plus tard, les surprises restent 30 % plus importantes qu'auparavant.

Deux facteurs ont stoppé les progrès. Premièrement, le financement : de nombreux bureaux de statistique réduisent leurs effectifs. L’annulation de séries de données est un signe. L'ONS, confronté à des réductions en termes réels, a suspendu certains travaux visant à mesurer les revenus familiaux et le bien-être.

Le deuxième problème concerne la dégradation des relations des citoyens avec l'État. Par exemple, le taux de réponse moyen à une enquête démographique réalisée par le BLS est passé de 88 % à 69 % au cours de la dernière décennie ; tandis que le taux de réponse à l'enquête britannique sur la population active est passé de 48 % à 20 %. On peut aussi observer que, lorsque les citoyens daignent répondre, ils font souvent preuve d’un esprit partisan qui obscurcit leurs réponses : juste avant l'élection présidentielle aux États-Unis, 42 % des électeurs démocrates répondaient que l'économie s'améliorait, contre seulement 6 % des électeurs républicains. Aujourd'hui, 6 % des électeurs démocrates et 53 % des électeurs républicains réagissent de la même manière.

Les statisticiens sont conscients de ces problèmes et nombre d'entre eux cherchent des solutions pour les contourner.


Un article de The Economist du 7 février 2025 : les 10 premières « villes du quart d’heure »

La ville du quart d’heure, concept popularisé par l’urbaniste Carlos Moreno en 2015, inspire de nombreuses politiques urbaines. Anne Hidalgo en avait fait un marqueur de sa campagne en 2020 et un dossier consacré à ce concept est en ligne sur le site de la mairie de Paris. Il s’agit de trouver « tout ce qui est nécessaire à 15 minutes de chez soi » à pied, ou à 5 minutes à vélo.
Mais comment mesurer la part de la population qui a la chance de vivre ainsi dans cette ville idéale ?
Il y a quelques années, il aurait été impossible de répondre de manière fiable à cette question. Plus maintenant, grâce à la sophistication des données gratuitement accessibles et la facilité d’accès associées. Dans un papier « A universal framework for inclusive 15-minute cities », paru dans Nature Cities en septembre 2024, les auteurs calculent, pour toutes les villes de plus de 500 000 habitants, la proportion de la population qui vit déjà dans la ville du quart d’heure. Un résumé de l’article est paru dans The Economist le 7 février 2025, et une version préliminaire de l’article est aussi disponible en ligne.

Article passionnant sur les données et techniques utilisées, toutes Open Source. Mais aussi sur le fond. Milan, Copenhague et Turin sont sur le podium. Mais la France place 3 villes dans le top 10 : Lyon, Marseille et Paris, avec respectivement 93,0 %, 93,6 % et 92,9 % d’habitants qui vivent à moins de 15’ de tous les services essentiels. Sans surprise, aucune ville américaine ne rentre dans le top 50, y compris New York, où seul le district de Manhattan pourrait se targuer du label de ville du quart d’heure.


La SFdS a récemment lancé MédiaStat : la statistique au cœur de l’actualité

Il s’agit de proposer, tous les mois, une courte analyse d’un sujet d’actualité, avec un éclairage statistique. Le groupe Statistique et Enjeux Publics a contribué au MédiaStat n°4 de mai 2025 : notre article « La France est-elle prête pour l’économie de guerre ? » s’appuyait sur une récent Café de la Statistique, introduit par Julien Malizard, titulaire de la Chaire d’Économie de la Défense à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale.

Le MédiaStat n°3, écrit par le groupe Enquêtes, s’intéressait à un sujet moins stratégique, mais très important pour beaucoup de statisticiens du secteur privé. Il s’agit de la loi votée le 21 mai sur l’interdiction du démarchage téléphonique non consenti. Celle-ci, avec raison il nous semble, interdit le démarchage téléphonique, si le consommateur n’a pas donné au préalable son « consentement » à être prospecté, et ce de façon « libre, spécifique, éclairée, univoque et révocable ». Or, par dégât collatéral, les instituts de sondage réalp d’applicationisant des enquêtes téléphoniques ont été, à un moment des discussions, concernés par le cham de la loi.

Même si la plupart des études des instituts privés sont réalisées par internet, le téléphone reste un moyen d’enquête difficilement remplaçable pour certains sujets porteurs d’enjeux publics : la mesure d’audience de la presse, ou des études sous-traitées par le service statistique public. Demander le consentement préalable des interviewés dégraderait la qualité de ces enquêtes en augmentant le taux de non réponse.

La sagesse du législateur a prévalu, bien aiguillée par les demandes de la profession, que relayait le MédiaStat n°3. Les instituts de sondage sont maintenant exemptés de l’utilisation des numéros polyvalents vérifiés, obligatoires en cas de démarchage, et de l’obtention préalable du consentement de l’interviewé.


Annonce

Le Conseil national de l’information statistique (Cnis) organise le mercredi 2 juillet 2025 au Centre de conférences Pierre Mendès-France des ministères en charge de l’économie, des finances et des comptes publics un colloque sur le thème « Aménager les territoires pour faire face au changement climatique : quels éclairages statistiques ». On peut s’y inscrire en cliquant ici.


Vie du groupe

Les élections des membres du Conseil de la SFdS et des bureaux des groupes se sont déroulées en mai par Internet. Les résultats ont été annoncés pendant l’Assemblée générale de la Société qui s’est tenue le mardi 3 juin à Marseille dans le cadre des 55e Journées de statistique. Pour ce qui concerne le bureau de notre groupe Statistique et Enjeux publics, le mandat de Marion Selz a été reconduit. Catherine Doz, professeur émérite à l’École d’économie de Paris, a été élue membre du bureau sur le siège laissé vacant par Olivier Vasseur. Notre groupe élira son bureau pour la saison 2025 - 2026 pendant sa réunion du vendredi 20 juin.

Depuis la parution du précédent numéro de La statistique dans la cité, deux Cafés de la statistique ont été organisés, l’un au Café du Pont-Neuf, le mardi 20 mai où Guillaume Chevillard, géographe et maître de recherche à l’Irdes (Institut de recherche et documentation en économie de la santé) est venu nous parler des déserts médicaux, et l’autre le mercredi 4 juin à Marseille dans le cadre des 55e Journées de statistique où Valérie Roux, directrice régionale de l’Insee en PACA et Stéphane Lhermitte, chef du service des études dans cette DR, ont animé un Café sur le thème de la qualité de vie dans les territoires (comment la mesurer ? quelles disparités ? quels usages pour les politiques publiques ?).

Les prochains Cafés auront lieu les mardis 14 octobre 2025 (mesure de la biodiversité avec Béatrice Sédillot, cheffe du Service des données et études statistiques au ministère de la transition écologique), 18 novembre 2025 (l’assurabilité face aux risques climatiques avec Charles Dumartinet, directeur actuariat & modélisation à la Caisse centrale de réassurance) et 9 décembre 2025 (le télétravail avec Jean-Claude Delgènes, économiste, président du groupe Technologia).

Par ailleurs, les Cafés lyonnais de la statistique ont tenu leur 50e séance le mardi 20 mai 2025 pour débattre du rôle des scientifiques dans la société (doivent-ils seulement produire de la connaissance ou peuvent-ils, doivent-ils prendre position dans le débat public ?).


Responsable de l’infolettre : Antoine Moreau, président du groupe SEP
Rédacteur en chef : Jean-Louis Bodin
Webmestre : Érik Zolotoukhine

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